Franchisés jugeant la relation trop déséquilibrée avec le groupe, salariés inquiets pour leur rémunération, syndicats dénonçant une "casse sociale à bas bruit": les recours judiciaires se multiplient contre la franchise et la location-gérance version Carrefour.
Sommaire
Les audiences judiciaires chez Carrefour se succèdent en ce début d'année. Après Rennes la semaine précédente, un recours de la CFDT sera examiné vendredi à Evry, le syndicat prévoyant un rassemblement de salariés devant le tribunal.
Qu'est-ce que la franchise et location-gérance ?
Exploiter un magasin en franchise ou en location-gérance - variante dans laquelle le franchiseur détient le fonds de commerce - est extrêmement courant. La fédération française de la franchise (FFF) indique que plus de 90.000 points de vente étaient exploités sous franchise en France en 2024, pour un chiffre d'affaires global de près de 89 milliards d'euros.
Le système doit bénéficier aux deux partenaires : le franchisé accède à une marque à forte notoriété. Le franchiseur développe son réseau sans supporter certains coûts, par exemple les salaires et les loyers et améliore grandement sa rentabilité en percevant une redevance, en devenant grossiste si le franchisé s'approvisionne chez lui, ou bailleur s'il détient les murs.
Pourquoi cela pose problème chez Carrefour ?
Chez Carrefour, qui a impulsé un vaste programme de développement de la franchise depuis l'arrivée de son PDG Alexandre Bompard en 2017, les critiques portent sur deux aspects.
D'un côté, une association de franchisés (AFC), qui revendique 260 adhérents, a assigné le distributeur devant le tribunal de Rennes, lui reprochant de leur imposer une relation trop déséquilibrée.
Ils sont soutenus par le ministère de l'Economie, qui a préconisé à la justice de prononcer la nullité d'une dizaine de clauses inscrites dans les contrats passés avec Carrefour, et proposé dans un rapport au vitriol une amende de 200 millions d'euros.
Le parquet de Rennes a indiqué mardi à l'AFP avoir l'"intention de soutenir les mêmes demandes que celles déjà formulées" par Bercy.
Une audience s'est tenue le 27 février pour "purger les sujets de vice de forme", selon l'avocat de l'association AFC François-Xavier Awatar, qui attend un rendu de décision sur ce point le 5 juin, avant éventuel examen du dossier sur le fond.
Le groupe Carrefour a dit mardi à l'AFP avoir "une totale confiance dans sa capacité à démontrer la parfaite validité de ses contrats comme l'équilibre de sa relation avec ses partenaires".
Qu'est-ce que reprochent les syndicats à Carrefour ?
Second front judiciaire : la CFDT a assigné le distributeur en justice au sujet du passage de nombreux magasins grands formats en franchise et location-gérance. Un mouvement tellement profond que plus de la moitié des ventes réalisées sous enseigne Carrefour en France l'est désormais par un franchisé.
Le syndicat estime qu'il s'agit là d'un moyen pour "réduire les frais de personnel" et "dénoncer les accords d'entreprises".
Carrefour répond que cela évite de fermer des magasins, et n'entend pas ralentir la cadence.
"Le mouvement vers la franchise se poursuit", a assumé le PDG mi-février lors de la présentation des résultats 2024.
Quelques semaines plus tôt, Carrefour avait annoncé prévoir de faire basculer 39 nouveaux magasins en franchise ou location-gérance en 2025, un mouvement qui doit concerner plus de 4.000 salariés, qui perdent après une période de transition tout ou partie de leurs avantages sociaux.
La CFDT a attaqué cette décision en référé devant le tribunal d'Evry, afin d'"empêcher toute nouvelle cession de magasin" avant que la justice ne se soit prononcé sur le fond. C'est une audience concernant ce référé qui doit se tenir vendredi.
Dernier front judiciaire, cette fois impulsé par le distributeur : les CSE de plusieurs magasins qui doivent bientôt passer en location-gérance en avril, en l'occurrence ceux d'Etampes (Essonne), Berck (Pas-de-Calais), Nice TNL (Alpes-Maritimes), ont demandé des expertises sur les risques pesant sur les conditions de travail des salariés.
Mais Carrefour a contesté en référé, et les tribunaux compétents doivent étudier les dossiers respectivement les 14, 18 et 19 mars, a appris l'AFP auprès de la CFDT.
Le groupe a confirmé à l'AFP contester ces demandes, estimant qu'il "s'agit d'une continuation d’activité qui ne modifie pas les conditions de travail".
(Avec AFP)