Ils venaient de terminer leur campagne, certains préparaient celle de l'entre-deux-tours. Et puis du jour au lendemain, confrontés au meurtrier Covid-19, ils ont été contraints au confinement, comme des millions de Français. Comment le vivent-ils ? Comment penser l'après ? Reviennent-ils à la racine même de leur engagement ? Nous avons pris des nouvelles des politiques niçois.
Minuit et demi, dimanche 15 mars. En direct sur Azur TV, l'animateur Nicolas Galup clôture la soirée électorale par un plein de doutes "peut-être est-ce qu'on se retrouvera la semaine prochaine pour le second tour…"
La veille, le samedi soir, le Premier ministre Édouard Philippe a fermé "jusqu’à nouvel ordre" tous les "lieux publics non indispensables à la vie du pays" pour lutter contre le Covid-19, qui a déjà emporté 91 personnes.
Le pays entre dans le stade 3 de l'épidémie, le virus circule désormais partout sur le territoire.
Buffet (très) froid
On a pu douter quelques heures durant de la tenue de l'élection. Finalement si, les Français iront voter. Une petite partie d'entre eux, plutôt. Seuls 44% se sont déplacés jusqu'aux urnes. Juste avant le lancement de l'édition spéciale, pendant la réunion de rédaction, le brief est clair chez Azur TV : "Il faut s'attendre à tout. L'abstention record peut tout faire basculer…"
Autour du buffet dressé dans le hall de la chaîne, personne ne se serre la main. L'épidémie est sur toutes les lèvres.
À Nice, pas de surprise majeure, quelques heures plus tard. Le maire LR sortant, Christian Estrosi, accède au second tour avec beaucoup d'avance (47,6%), devant Philippe Vardon du RN (16,7%) et l'écolo Jean-Marc Governatori (11.3%).
Nuit blanche pour les politiques
La nuit est courte pour le patron du Rassemblement national local. À son QG de campagne, au Port, on est partagés jusqu'à cinq heures du matin entre la joie d'avoir réalisé l'un des meilleurs scores du parti lepéniste à Nice, et l'inquiétude.
Plus les heures avancent, plus l'incertitude grandit. Le second tour va-t-il réellement avoir lieu, malgré la peur grandissante de propagation du virus ?
On parle d'un couvre-feu. Ce sera finalement un confinement, que le président de la République Emmanuel Macron annoncera lundi 16 mars au soir. Chez Philippe Vardon, on avait quand même imprimé les bulletins de vote pour le second tour, par précaution.
Il faut maintenant déménager la permanence, parer au plus pressé. "Une campagne, c'est aussi gérer une petite PME. Il y a des salaires à verser, une équipe à rassurer" nous raconte le candidat.
"On a aussi nos impératifs professionnels, familiaux à gérer avant l'entrée dans le confinement… Le changement d'atmosphère est brutal."
Le maire infecté
Il souffle un vent de panique du côté de la mairie de Nice. Dans l'après-midi du lundi 16 mars, au lendemain du premier tour, Christian Estrosi annonce aux médias qu'il a été contaminé par le coronavirus.
Le maire se dit toutefois "en état pour continuer à gérer la crise." Il le faudra bien. Les trois quarts de son cabinet et de la direction de l'administration municipale sont également atteints. La capitale azuréenne plonge dans l'inconnu.

Estrosi "en mille morceaux"
Christian Estrosi réalise plusieurs duplex sur les chaînes d'info pour montrer sa forme physique. En réalité, l'homme fort de la droite locale est "cassé" par le virus.
"À ce moment-là, je suis à plat, en mille morceaux, confie-t-il au Figaro. Toute la journée, vous passez d'une sensation à une autre. Pendant plusieurs heures, vous avez des courbatures partout, dans le dos, dans le ventre, la nuque. Ensuite, ça passe, et d'un coup, vous avez de la fièvre. Quand elle passe, vous vous mettez à tousser et à ne plus arriver à respirer entre deux quintes, ni à reprendre votre souffle. Vous n'arrivez plus à marcher. Vous êtes totalement à plat."

"Des campagnes, j'en ai connu : la présidentielle, les législatives, les européennes, le jet lag qui s'ensuit" raconte de son côté le RN Philippe Vardon. "Mais là, les choses sont bien différentes. Tout s'arrête alors que l'élection elle-même n'est pas terminée. On ne sait même pas si on est vraiment dans l'entre-deux-tours."
"On passe d'un moment de grande mobilisation intellectuelle, d'une hypersocialisation… à se retrouver dans son salon à ranger des bouquins en faisant un point sur sa vie."
Du côté du candidat socialiste Patrick Allemand, éliminé dès le premier tour (6,5%) la soirée est un choc : "On serre plein de mains, on est en campagne. Trois jours après, votre liste est sortie et vous vous retrouvez à la maison. Sacrée secousse."
La nuit de l'élection, il apparaît en duplex sur Azur TV défait, seul dans une rue sombre. Pas le temps de digérer la défaite. Dès le mardi, alors que le confinement va prendre effet, il faut déménager ses bureaux.
"Une période traversée par le drame"
"Plus de quinze jours après, je suis toujours conseiller municipal, alors que j'ai perdu… et on ne sait même pas quand sera organisé le second tour. Tout cela est fou…" lâche Patrick Allemand.
"On se retrouve dans une période traversée par le drame, où le principe même d'opposition est dépassé. On se sent faillibles, parce qu'il ne faut pas oublier que les hommes politiques le sont. C'est évident aujourd'hui. Et on fait beaucoup d'introspection."
"On se demande ce qu'est devenue l'action publique, ce qu'elle sera demain" poursuit celui réfléchit déjà à "l'après", avec sa formation "Nice au Coeur".

Nice en première ligne
Deux semaines après le début du confinement, Christian Estrosi a repris du poil de la bête, guéri (d'après lui) par le traitement à la chloroquine du professeur marseillais Didier Raoult.
Le maire de Nice a toutes les caméras des médias nationaux braquées sur lui. Distribution de masques, hôpital de campagne "à la coréenne", désinfection des rues… lui qui s'est sorti de cette maladie mortelle ne veut négliger aucune initiative pour combattre l'épidémie dans sa ville.
"Gouverner c'est prévoir. Ne pas prévoir, c'est courir à sa perte"
"On ne va pas se mentir, on aurait tous fait comme Estrosi si on avait été à la mairie pendant cette crise, pose Philippe Vardon. Mais plus vite !" Pas de place pour la "polémique politicienne" du côté du candidat RN, qui tacle tout de même "les retards dans l'équipement en masques des policiers municipaux" ou "l'inutilité de la désinfection à la javel des rues."
"Gouverner c'est prévoir. Ne pas prévoir, c'est courir à sa perte" martèle ce proche de Marine Le Pen. Cette dernière "avait tiré la sonnette d'alarme bien avant tout le monde sur la fermeture des frontières et la pénurie annoncée de masques" fait-il encore valoir.
Dans le match des plus prévoyants, de ceux qui auraient fait mieux, peu de chances d'y croiser le nouveau patron des écolos niçois. Dans l'un des débats télévisés précédant l'élection, Jean-Marc Governatori avait vertement critiqué le maire de Nice "qui n'aurait pas dû annuler le carnaval (le 26 février, NDLR) pour ce coronavirus, moins tueur que la grippe (sic)."
Cruelle retrospective.
L'espoir d'un "monde meilleur"
"Dans cette période, il faut rester vigilants à chaque instant, dans tous les domaines" assure de son côté Mireille Damiano, candidate -déçue (8,91%)- de la gauche à la mairie. L'avocate niçoise alerte depuis le début du confinement sur le manque de mesures prises pour venir en aide aux sans-abris, notamment.
"Chez Viva ! (sa formation politique, NDLR) on est des associatifs, on est au contact, on a des retours du terrain. Alors même pendant cette crise sanitaire, on continue le travail citoyen qu'on avait porté pendant toute la campagne."
"On avait promis qu'on s'inscrirai dans la durée, qu'importe le résultat, poursuit Mireille Damiano. Nous restons attentifs au sort des plus faibles pendant ces semaines si particulières."
"Et quand cette page sera tournée, nous serons là, avec nos assemblées populaires, pour réfléchir ensemble à un monde meilleur."