Plus de 668 marins, soit un tiers de l’équipage du bâtiment, ont été testés positifs au coronavirus. Les 1.767 marins sont confinés, notamment à Toulon. Témoignage
CRISE SANITAIRE — "Je vis cet épisode comme une épreuve sociologique. Mais le ressenti d’un marin ne représentera jamais celui de la majorité de l’équipage". Ce gradé, sous couvert d’anonymat (les militaires ne sont pas autorisés à s'exprimer) tient à "rétablir certaines vérités."
Près de 2.000 militaires ont donc été confrontés à l’épidémie de Covid-19 sur le porte-avions "Charles de Gaulle", bâtiment majeur de la marine nationale. Le confinement a été plus ou moins bien vécu : "Le virus a permis de voir que certains éléments se sont révélés forts alors qu’on les pensait faibles… et inversement."
Au moment de l’escale à Brest (le navire était alors en mission depuis trois mois), pendant le week-end électoral du 13 au 15 mars, aucun symptôme grave n’est décelé parmi les membres de l'équipage, selon lui — d'autres témoignages affirment l'inverse.
"On pensait vraiment y avoir échappé", se remémore-t-il.
Mais voilà qu’une semaine plus tard, alors que le porte-avions est au mouillage au large du Danemark, ("Non, personne n’a mis pied à terre !"), quelques marins commencent à tousser. "Il n'y avait rien de choquant", explique-t-il. "Il faisait froid, nous travaillions sur le pont toute la journée, on peut très bien tomber malade."
Mais la situation se corse rapidement :
"Une bonne partie de l’équipage a commencé à se sentir très mal, avec des symptômes du Covid. Mais nous n’avions pas de tests à bord"
Le commandement décide de mettre une tranche du bateau à l’isolement, environ 127 places. Des mesures de préventions sont prises, mais au vu de la promiscuité, il est impossible d’éviter la propagation d’un tel virus.
"Il y a environ 30 à 40 hommes par poste" détaille le gradé de la marine. "Les sanitaires sont collectifs et les activités physiques engendrent beaucoup de déplacements à bord."
Exercices quotidiens de sécurité, sport, rassemblements pour l’appel et repas se font en collectivité pour les militaires. "Sans oublier qu’une grande partie du personnel était asymptomatique" et a donc pu contribuer à la propagation du virus.
Lui-même a été testé positif ces jours derniers :
"Je le ressens comme si j'avais une grippe, j’ai mal à la tête et une perte de goût mais pas de fièvre, alors j’ai continué le travail. Nous sommes des militaires, nous sommes globalement en bonne santé au début d’une mission."
Mais très vite, la dizaine de médecins et d’infirmiers militaires doit faire face à des marins malades et inquiets. La peur s’empare d’une partie de l’équipage : "On n’est pas sur un bateau de croisière, c’est difficile d’être confinés dans une chambre sans vue sur l’extérieur, sans fenêtre, sans Internet, on peut comprendre que certains l’aient mal vécu…"
Mais le sous-officier tient à remercier le personnel soignant à bord pour son "travail exceptionnel."
Rentrés à bon port une semaine plus tôt que prévu, les membres de l’équipage sont désormais en quatorzaine dans différentes bases militaires. "Nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne, mais nous sommes très bien pris en charge."
La priorité pour le moment ? Éviter la propagation et ne pas mettre en danger les familles des militaires. "Moi, je suis toujours en mode mission, je suis un vieux marin alors j’ai l’habitude", plaisante-t-il.
"Hors de question que je rentre chez moi pour contaminer mes proches. En attendant mon retour, on se fait un appel visio ce soir."
CE QUE L'ON SAIT. Selon des données publiées par le ministère des Armées, au 14 avril, plus d’un tiers des marins du porte-avions Charles de Gaulle a été testé positif au nouveau coronavirus. "1767 marins [sur 1900] du groupe aéronaval ont été testés. La grande majorité de ces tests concerne à ce stade des marins du porte-avions. 668 se sont révélés positifs", indique ainsi le ministère. Une vingtaine sont actuellement à l’hôpital, dont un en réanimation. Pour 30% des tests, les résultats ne sont pas encore connus. Deux enquêtes sont en cours.