Deux ans avant de commettre l’attentat meurtrier dans la basilique de Nice le 29 octobre 2020, coûtant la vie à trois personnes, Brahim Aouissaoui s’était « isolé de sa famille » et « ne fréquentait plus que des salafistes », a déclaré jeudi un enquêteur de l’antiterrorisme devant la cour d’assises spéciale de Paris, retraçant le parcours de l’accusé.
L’interrogatoire du jeune Tunisien de 25 ans, resté mutique durant l’instruction et peu loquace depuis le début de son procès, est prévu lundi.
Lorsqu’il quitte la Tunisie le 18 septembre 2020, à l’insu de ses proches, Brahim Aouissaoui a un objectif précis : venir en France « pour tuer », affirme l’enquêteur de la Sous-direction antiterroriste (Sdat), identifié sous le matricule Sdat-268. « Il a la haine de la France », insiste-t-il en intervenant par visioconférence.
L’attaque de la basilique de Nice s’inscrit dans une vague d’attentats qui a marqué l’automne 2020, amorcée le 2 septembre par la republication des caricatures du prophète Mahomet par Charlie Hebdo, le même jour que l’ouverture du procès des attentats de janvier 2015, explique l’enquêteur.
Une semaine après cette republication, des médias proches d’Al-Qaïda appelaient à frapper la France, qualifiée de « porte-étendard des croisades en Europe ». Le 25 septembre, un Pakistanais attaquait deux passants à la hache devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, rue Nicolas-Appert, à Paris. Le 16 octobre, un jeune Tchétchène poignardait et décapitait le professeur d’histoire Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) après que celui-ci avait montré en classe des caricatures du prophète.
« Très faible coopération des autorités tunisiennes »
Le 25 octobre, soit quatre jours avant l’attaque de Nice, un média affilié à Al-Qaïda exhortait à « égorger » des Français dans « leurs églises ».
L’enquêteur, qui déplore la « très faible coopération des autorités tunisiennes », détaille le périple clandestin de Brahim Aouissaoui vers l’Europe. Après avoir embarqué sur un bateau de fortune, il accoste à Lampedusa le 20 septembre, où il est placé en quarantaine en raison du Covid-19, avant d’être transféré sur un navire italien. Débarqué à Bari le 9 octobre, il reçoit une injonction de quitter le territoire italien sous sept jours.
Au lieu de cela, il se rend en Sicile, où il travaille brièvement dans une oliveraie.
Dans des messages vocaux envoyés à ses proches, il annonce son intention de rejoindre la France. Sur son téléphone, les enquêteurs retrouveront des images du président Emmanuel Macron devant le cercueil de Samuel Paty, ainsi que des photos de l’auteur de cet assassinat, Abdoullakh Anzorov.
Ayant réuni suffisamment d’argent, il quitte la Sicile et arrive en France le 27 octobre au soir. Moins de 48 heures plus tard, il tue en l’espace de dix minutes Nadine Devillers, paroissienne, Vincent Loquès, sacristain, et Simone Barreto Silva, mère de famille.
« Il n’a pas été établi d’incitation, de la part d’un tiers, à passer à l’action terroriste, ni d’assistance opérationnelle consciente à son passage à l’acte », précise l’enquêteur. Brahim Aouissaoui aurait donc agi seul.
Il se serait vanté en prison d’être l’auteur de l’attentat
Selon les analyses des services antiterroristes, le choix du 29 octobre n’aurait pas été anodin : cette date correspondait, cette année-là, à la célébration de la naissance du prophète Mahomet, une fête majeure pour les musulmans.
Après le témoignage de l’enquêteur de la Sdat, un responsable de l’administration pénitentiaire a décrit « les multiples incidents » provoqués par l’accusé en détention. Placé à l’isolement total depuis son incarcération, il est néanmoins parvenu à établir des contacts avec des jihadistes, notamment Reda Kriket, condamné à 24 ans de réclusion pour avoir préparé un attentat avant l’Euro 2016.
Affirmant aux enquêteurs n’avoir aucun souvenir des faits, Brahim Aouissaoui se serait pourtant vanté en prison d’être l’auteur de l’attaque.
Le prédicateur islamiste Abdelhakim Sefrioui, condamné à 16 ans de prison (verdict dont il a fait appel) pour son implication dans l’assassinat de Samuel Paty, a raconté aux enquêteurs que Brahim Aouissaoui lui aurait confié être « fier » de « l’œuvre » accomplie à Nice.
Dans sa déposition, lue à l’audience, Sefrioui qualifie toutefois Aouissaoui de « taré ». L’accusé, impassible dans son box, risque la réclusion criminelle à perpétuité. Son procès devrait s’achever le 26 février.
(Avec AFP)



