Newsletter gratuite
Patrick Allemand est candidat à la mairie de Nice pour la troisième fois. La défection des écolos a fait fondre les espoirs d'une gauche plurielle et certains des siens ont quitté le navire. Environnement, culture, islam, sécurité : le patron de l'opposition municipale ouvre de nouvelles perspectives. Entretien sans langue de bois.
RIVIERACTU MAGAZINE : La primaire du PS qui doit désigner le candidat de la gauche aux municipales devait se dérouler début octobre. La gauche semble plus désunie que jamais. De l'extérieur, la situation a l'air confuse…
PATRICK ALLEMAND : Ça n'est guère moins confus de l'intérieur ! La stratégie arrêtée était de faire une union de la gauche, avec les écolos notamment. On sait depuis ce week-end que ça ne se fera pas.
C'est regrettable, mais je suis sur un schéma plus original. Je pense que les électeurs ne sont plus sensibles aux alliances de circonstance. C'est pour ça que j'ai créé ma plateforme "Nice au coeur", qui a nourri ma réflexion depuis plusieurs mois et qui dépasse les appareils politiques.
Les électeurs de gauche n'ont pas disparu. C'est juste que ce qu'on leur proposait hier ne leur correspond plus aujourd'hui.
Vous êtes candidat à la candidature, quand se déroulera cette primaire ?
P.A. : Je suis sensible au soutien du PS. Je me présenterai peut-être avec ma plateforme. Pour ce qui est de la primaire, nous n'avons pas de date.
Où en est l'union de la gauche ? Xavier Garcia, premier secrétaire du PS 06, vous soutient-il, comme cela a été annoncé dans un premier temps en début de semaine ?
P.A. : Pour l'union de la gauche, je n'ai rien de plus à dire que vous ne savez déjà. Certains travaillent dans le bon sens et sont de bonne volonté. On verra.
Pour ce qui est de Garcia, je ne l'ai pas eu au téléphone, ni pour dire qu'il me soutenait, ni pour me dire qu'il ne le ferait pas.
Vous avez dit de lui, avec qui vous avez travaillé pendant 15 ans, qu'il ne pouvait pas vous trahir : "Je ne suis pas Hollande et il n'est pas Macron. La loyauté en politique, ça existe…"
P.A. : Je me suis trompé ! Ça arrive. (rires) Il a été candidat, il ne l'est plus. Moi, si.
C'est mon "fils politique". La vie publique est faite d'aléas, il a fait une erreur. Mais je lui tendrai la main si il veut de nouveau travailler avec moi. Je ne suis pas dans la logique d'ouvrir un front au PS.
Que répondez-vous à ceux qui disent que vous avez fait votre temps ?
P.A. : Il faut écouter l'avis des Niçois ! Je ne suis pas là pour faire le combat de trop…
Mais comment trouver la force de vous présenter dans ce contexte de divisions, alors que vous avez déjà perdu en 2008 et en 2014 ?
P.A. : C'est une question de mental. Il y a un troisième combat à mener contre Christian Estrosi.
De toute façon, si je suis battu cette fois-ci, je ne gagnerai plus. C'est mon dernier combat.
![]() |
Comment mettre en avant une vision politique alternative quand le bilan du maire sortant est approuvé par 79% des Niçois, toutes sensibilités politiques confondues ?
P.A. : Les sondages ne se trompent pas beaucoup. Si près de 80% des gens sont satisfaits, c'est qu'il y a aussi des électeurs de gauche parmi eux. Mais ça ne veut pas dire qu'ils vont voter pour lui.
Son bilan est contrasté. Quand on connaît bien la ville, on voit bien qu'il n'est pas si bon que ça. C'est en trompe-l'oeil.
Éric Ciotti ne sera visiblement pas candidat, les sondages donnent le maire sortant gagnant dès le premier tour. L'élection est-elle jouée d'avance ?
P.A. : On disait la même chose en 2008 et en 2014 ! Et Estrosi n'a jamais été élu au premier tour. Une élection, ça n'est jamais joué d'avance.
"Ceux qui succèderont à Estrosi vont trouver une situation épouvantable"
À quoi êtes-vous le plus opposé ?
P.A. : Il y a un travail incontestable d'embellissement de la ville, la rénovation de la place Garibaldi, et cætera. Mais il y a des choix qui posent davantage question.
Pour la nouvelle ligne du tram, le choix de faire un souterrain, ça nous a coûté un milliard ! Le fric qu'on place là, on ne le consacre pas à d'autres choses…
Philippe Pradal (le premier adjoint, NDLR) appelle ça la "gestion dynamique", mais la vérité c'est qu'on a vendu plusieurs millions d'euros du patrimoine de Nice ! Heureusement, on a sauvé la villa Paradisio qui a quand même failli finir sur Le Bon Coin !
Malgré cela, on est à deux milliards de dette. Ceux qui succèderont à Estrosi vont trouver une situation épouvantable.
Le parti communiste dénonce la "ségrégation urbaine" qui existerait à Nice.
P.A. : C'est le cas. Mais je préfère parler de lutte pour l'égalité territoriale.
On s'est donc battu, avec l'opposition municipale, pour qu'il soit décidé que le tram aille jusqu'à l'Ariane, par exemple.
Il faut aussi parler de l'énorme déficit de logements sociaux à Nice. Il n'y en a que 12%, alors que la loi en impose 20% et que 70% des Niçois y sont éligibles. On est en plus dans une ville où il y a des contrastes sociaux très violents.
"Les Niçois savent d'où vient Philippe Vardon"
Vous parlez beaucoup du "risque" de la disparition de la gauche au conseil municipal. Mais à quoi ressemblerait une opposition uniquement représentée par le Rassemblement national (RN) de Philippe Vardon ?
P.A. : La conséquence politique serait catastrophique. Il n'y aurait plus personne pour parler de ceux qui ont besoin qu'on s'occupe d'eux. Beaucoup de thématiques ne seraient plus mises en avant, comme les transports et l'enclavement dont on parlait à l'instant.
Cela dit, Vardon n'est pas le candidat que l'extrême-droite espérait. Et les Niçois, ils ont bonne mémoire. Ils savent d'où il vient. Il fait une grosse campagne, il est très présent : mais il n'imprime pas.
![]() |
Photo : Hadrien Acaldi pour Rivieractu |
SON BILAN
Que devrait-on retenir de votre action sur la mandature qui s'achève ?
P.A. : J'ai essayé de changer la manière d'être dans l'opposition.
Christian Estrosi, c'est avant tout un communiquant. Face à cela, si on s'oppose à lui dès qu'il propose quelque chose — alors que tous les jours il pond un truc — il va nous bouffer… Ce qui est complexe, c'est qu'il faut répondre à ce qu'il propose tout en faisant avancer nos thèmes.
On a sauvé la villa Paradisio, obtenu le changement de la tarification dans les cantines scolaires pour soutenir les familles les plus précaires, l'extension de la ligne 1 du tram, l'élargissement de l'indemnisation des commerçants sur le tracé de la ligne 2, la gratuité pour les handicapés au Carnaval, le fonds pour soutenir les associations sur les coûts liés à la sécurité…
SES PROPOSITIONS
"L'aéroport de Nice est en fin de croissance : il doit se tourner vers l'international"
Sur quels axes principaux votre campagne va-t-elle s'orienter ?
P.A. : La question du logement, les transports publics, l'environnement et la culture.
En matière d'environnement, je veux soutenir les cultures dans la plaine du Var, et développer l'énergie solaire là où la terre n'est pas viable.
On doit exiger que les bâtiments publics soient plus éco-responsables. Sur les toits plats, on devrait mettre des panneaux photo-voltaïques, ou des jardins partagés.
Je veux aussi sanctuariser les terres agricoles au dessus de Saint-Isidore. Au dessous, c'est trop tard. On a fait un tram, ça n'est pas pour aller desservir des champs de blettes.
L'aéroport de Nice est en fin de croissance, il faut comprendre ça. On doit accélérer les travaux de la nouvelle ligne ferroviaire pour desservir les autres métropoles. Un Nice-Lyon en avion, c'est incongru ! Il faut que notre aéroport soit plus centré sur l'international.
Sur la culture et le social, je ferai un grand "plan théâtre", orienté, dans les quartiers notamment, vers les jeunes et les femmes.
Il faut aussi penser à la solidarité inter-générationnelle, développer le maintien à domicile. 30% des gens ici ont plus de 65 ans. On doit donc parler des questions de dépendance et d'isolement, c'est un vrai sujet. Je veux construire à ce niveau là une ville plus solidaire.
"Je ne mettrai pas plus de moyens pour la sécurité"
Et sur les questions de sécurité ?
P.A. : Je ne vois pas ce qu'on peut faire de plus.
On peut faire mieux niveau sécurité, sans ajouter des moyens. Il y a plus de 2.500 caméras en ville, c'est un total absolument démentiel, c'est supérieur à tout ce qui existe ailleurs en France.
Je ne ferai pas ma campagne sur la sécurité.
Si je suis élu, je n'augmenterai pas son budget. Il faut remettre les choses à plat, pour trouver comment être plus efficaces avec les bons outils que l'on a déjà. Peut-être qu'il faut davantage déployer de policiers la nuit que le jour, par exemple.
QUESTIONS DE SOCIÉTÉ
"Je veux que les Niçois musulmans se sentent aimés"
On dit parfois que la gauche s'exprime moins, ou serait moins audible, sur les questions de sécurité, de terrorisme, et notamment de lutte contre l'islam radical.
P.A. : Regardez à Nice l'épisode de la mosquée En-Nour. On a accusé ces gens d'être des représentants de l'islam radical.
Aujourd'hui ça fait deux ans que cette mosquée est ouverte, il n'y a jamais eu un seul problème, malgré un acharnement judiciaire forcené du maire de Nice. La collectivité a dépensé plus de 40.000 euros en frais d'avocats !
Evidemment que l'islam radical est un vrai problème qui touche à la sécurité des personnes. Mais il faut aussi que chacun comprenne que ça ne relève pas du maire de Nice.
Cela étant dit, il peut agir notamment sur le terrain de la prévention. Je veux faire un maximum pour que les musulmans qui vivent dans cette ville se sentent intégrés, respectés, et aimés.
Souvent, la radicalisation naît d'un sentiment d'exclusion sociale. Il faut travailler là-dessus.
Les Niçois musulmans n'ont pas beaucoup de mosquées où aller, et le peu qui sont ouvertes sont parfois dans un état discutable…
P.A. : Une mosquée, c'est une sécurité. Le danger, c'est l'islam des caves, qui, lui, porte les germes de la radicalisation parce que les textes n'y sont pas expliqués correctement.
Le seul fait de ne pas avoir de lieux de culte décent, c'est humiliant. Il faut étudier les choses pour savoir si à Nice il y a assez de mosquées, puisqu'il y a 80.000 Niçois de confession musulmane.
"Chacun doit pouvoir pratiquer sa religion en toute liberté"
On parle beaucoup de laïcité dans l'actualité ces dernières semaines, notamment après l'affaire de la maman voilée prise à partie au conseil régional de Bourgogne. Quelle est votre position à ce sujet ?
P.A. : Par exemple, pour parler de laïcité, on ne peut pas enlever aux Niçois le Voeu. C'est une tradition, ça correspond à un moment historique. Il y a des fêtes patronales dans tous les villages.
Il n'y a pas de religion d'État en France. Chacun doit pouvoir pratiquer sa religion en toute liberté, point barre.
Pour revenir à votre question, il est impensable d'empêcher les femmes de porter le voile dans la rue.
Mais le maire, c'est un élu local. Quand on a une ville de 350.000 habitants à gérer, on a autre chose à faire que d'aller s'occuper de ce qui se passe au niveau national.
"J'aurais convoqué les supporters après l'affaire des banderoles homophobes"
Il y a eu une vive polémique à la fin de l'été après le match OGC Nice-OM, pendant lequel des banderoles dites homophobes ont été déployées dans les tribunes. Les élus se sont faits discrets pendant cet épisode. Comment se serait positionné le maire Patrick Allemand ?
P.A. : Il ne faut pas caricaturer. J'aime le foot, je vais au stade depuis tout gamin. J'ai toujours entendu des insultes homophobes. Si la question se pose différemment aujourd'hui, c'est qu'on a changé d'époque, les supporters sont tout à fait en mesure de le comprendre…
C'est peut-être une question de courage politique. Le foot est structurant dans la culture niçoise, difficile d'aller à contre courant. Xavier Garcia a tweeté à ce moment-là qu'il fallait plutôt s'intéresser au mondial 2022 au Qatar. Facile, non ?
P.A. : Bon, moi j'aurais convoqué les supporters.
Le rôle d'un maire c'est de dissiper les foyers de tension dans sa ville. Il aurait fallu une table ronde, qu'on mette les choses à plat et qu'on trouve des solutions ensemble. Sans oublier que des comportements homophobes, il n'y en a pas que dans les stades.
D'une manière générale, et cela illustre nos différences, quand il y a un problème, Estrosi dit "je sors la matraque". Moi je dis, "on dialogue".
— Propos recueillis par Clément Avarguès le 24/10/19. Photos : Hadrien Acaldi pour Rivieractu