À Marseille, d’anciens boxeurs utilisent leur expérience pour encadrer la jeunesse des quartiers Nord, confrontée à la violence et au trafic de drogue, avec un espoir en tête : en sauver quelques-uns.
Au cœur de la Busserine, le Rap’n Boxe ne désemplit pas. Sur le ring, Mathis Lourenço, triple champion de France, enchaîne les coups sur la ceinture de frappe de son entraîneur pendant que des adolescents se relaient aux sacs de frappe. Un peu plus loin, deux jeunes filles casquées perfectionnent leurs coups de pied sous le regard attentif de leur coach, devant un mur couvert d’affiches de combats.
« Ici, tout le monde est le bienvenu : jeunes des quartiers Nord, étudiants des quartiers Sud. Mais il y a une règle incontournable : respect, politesse et discipline », insiste Slimane Safriouine, alias Slim, ancien champion du monde de full contact.
« Au départ, pour eux, c’est juste de la bagarre. Mais on leur apprend à gérer la tension, à miser sur la technique plutôt que sur la force brute », explique-t-il.
Vingt ans après sa création, l’association dépasse les 500 adhérents et collabore avec l’Éducation nationale pour accueillir des élèves en décrochage scolaire, ainsi qu’avec la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Parmi ses membres, on retrouve aussi des policiers et des boxeurs de haut niveau.
Le club ne se limite pas à la boxe : soutien scolaire, ateliers de rap pour lutter contre l’illettrisme, et même des cours sur le skatepark municipal, pour éviter qu’il ne devienne un point de deal.
Slim se souvient d’un jeune pris sur le fait, en train de fumer un joint et boire du rhum dans une bouteille de soda. « Je l’ai traîné sur le ring. Des années plus tard, il fait partie des encadrants du club. Il a arrêté de fumer, s’est découvert une passion pour le théâtre », raconte-t-il.
Médine, lui, dormait dans la rue avant d’être placé en centre éducatif fermé après quelques « bêtises ». Un éducateur lui a conseillé la boxe. « Ça m’a structuré, donné un équilibre, une hygiène de vie. Grâce au club, j’ai suivi une formation et trouvé du travail. »
Un outil, pas une solution miracle
À Marseille, les clubs de boxe sont nombreux, notamment dans les quartiers Nord, où l’on en recense seize, du Rap’n Boxe au Noble Art Boxing 15.
Dans les années 1990, l’idée s’est imposée de développer la boxe dans les cités, en misant sur sa capacité à transformer des trajectoires de vie, explique Serge Pautot, avocat et ancien président du comité régional de boxe.
« Évidemment, on ne va pas résoudre la délinquance d’un coup de baguette magique. Mais on dit aux jeunes : ‘Viens, on t’accueille, on va parler, on va t’apprendre les règles, le respect, à connaître ton corps, à gérer tes émotions’.»
Youssouf Djibaba, alias Claude, a grandi à la Castellane. À 16 ans, il découvre la boxe. « J’étais plein d’agressivité, je bégayais. La boxe m’a aidé à canaliser tout ça, à améliorer mon élocution, à prendre confiance en moi. C’est elle qui m’a permis de m’orienter professionnellement. » Aujourd’hui octuple champion de France, il est éducateur à la PJJ et romancier.
« Ce n’est pas magique, ça demande du temps. Mais la boxe peut déclencher quelque chose chez ces jeunes en rupture. »
Un refuge au cœur d’un quotidien difficile
À Saint-Henri, un ancien quartier ouvrier classé prioritaire, Rénald Garrido, ex-champion et désormais conseiller en insertion professionnelle, a ouvert avec des amis une salle dédiée à l’inclusion par le sport.
« Ici, tout est gratuit », explique Akim Benrezkallah, qui anime les cours pour enfants avec son collègue Franck Fenu. L’un est éboueur de nuit, l’autre de jour, mais tous deux ouvrent la salle à la demande.
« Marseille est une ville compliquée. 75 % des gens galèrent. On ne vit pas, on survit. Toute cette énergie doit bien aller quelque part », observe Akim.
« Cette salle gratuite, c’est incroyable », s’enthousiasme Lounès Khaldi, qui y emmène son fils de neuf ans deux fois par semaine. « Les coachs prennent le temps d’échanger après les séances. Ce n’est pas qu’un entraînement physique, ça lui apporte aussi des connaissances générales. »
« La boxe m’a sauvé », confie Rénald Garrido. « Et quand on a reçu quelque chose d’aussi fort, on a envie de le transmettre. »
Cadre social unique
« La boxe, c’est un bassin social particulier. La plupart d’entre nous viennent de ce milieu-là », reconnaît Diego Negri, du collectif Boxe Massilia. « C’est un sport exigeant, qui fait mal, qui marque le corps. »
Ancien syndicaliste métallurgiste, il a ouvert un petit club au Panier après une carrière de boxeur en Italie.
« À Marseille, le principal problème pour les jeunes, c’est la drogue, non pas pour la consommer, mais pour l’argent qu’elle rapporte », observe-t-il. « Alors quand un gamin pousse la porte d’un club, je me dis : ‘Celui-là, au moins, n’est pas dans la rue’. Et si j’arrive à en sauver quelques-uns…»
(Avec AFP)



