Le Tunisien Brahim Aouissaoui, accusé d’avoir tué trois personnes dans la basilique de Nice le 29 octobre 2020, a de nouveau choisi le silence mercredi, déclarant qu’il n’avait « rien à dire » alors que les proches des victimes prenaient la parole à la barre.
L’une après l’autre, les deux filles de Vincent Loquès, le sacristain égorgé par l’accusé, les sœurs et les fils de Simone Barreto Silva, mère de famille poignardée à 25 reprises, ainsi que le mari de Nadine Devillers, une paroissienne décapitée avec un couteau de cuisine, ont exprimé devant la cour d’assises spéciale « la difficulté à vivre » depuis la tragédie.
« Ma mère est morte quand j’avais 10 ans »
Émilie, 28 ans, et Marjorie, 30 ans, les filles de Vincent Loquès, témoignaient en visioconférence depuis Nice. Avec retenue, elles ont évoqué « le deuil impossible » de ce père qu’elles aimaient tant. « Je n’arrive pas à faire mon deuil », confie, les yeux rougis, la plus jeune, aujourd’hui institutrice.
Marjorie, l’aînée, qui était enceinte peu après l’assassinat de son père, parle d’un profond sentiment de culpabilité. « Je me sentais coupable de donner la vie alors que j’avais perdu mon père, d’amener un enfant au monde dans une époque où l’on peut mourir dans un parc, à un concert, dans une église », raconte-t-elle.
Simone Barreto Silva, mère de famille franco-brésilienne de 44 ans, incarnait « la joie de vivre… et on nous l’a arrachée », confient deux de ses sœurs en pleurs.
L’émotion atteint son paroxysme lorsque son fils de 15 ans s’avance à la barre. « Ma mère est morte quand j’avais 10 ans », commence-t-il d’une voix tremblante.
Droit face à la cour, il raconte comment sa vie a basculé, les larmes aux yeux, tout en luttant pour rester digne. Des juges assesseurs s’essuient discrètement le visage.
Le président de la cour d’assises, Christophe Petiteau, s’adresse à lui avec bienveillance. « C’est très courageux de venir témoigner ici, beaucoup d’adultes en seraient incapables. Je sais que toute ta famille pourra compter sur toi », lui dit-il, visiblement ému lui aussi.
Un autre fils de Simone Barreto Silva, aujourd’hui âgé de 20 ans mais mineur au moment des faits, dénonce des crimes « impardonnables ». « Pour lui, c’étaient des ‘mécréants’, des ‘chiens’. Pour nous, c’étaient un père, une mère, une sœur, une épouse…».
Évoquant le premier jour du procès, il se remémore la colère qui l’avait submergé lorsqu’il avait crié à l’accusé un violent « Va te faire foutre !», ce qui lui avait valu d’être expulsé de la salle. « Je suis désolé pour ça », dit-il à la cour, avant d’ajouter à l’intention de l’accusé : « Aujourd’hui, je te regarde et ça me fait sourire ».
Joffrey Devillers, époux de Nadine Devillers pendant 26 ans, confie souffrir d’«insomnies » et de « cauchemars » depuis l’assassinat de sa femme.
Puis vient le témoignage bouleversant d’une jeune sapeur-pompier volontaire, celle qui a tenté de secourir Simone Barreto Silva. Se sentant à l’agonie, la victime lui avait confié un dernier message pour ses enfants : qu’elle « les aime très fort ». « J’ai promis », sanglote la secouriste.
Une perte de mémoire « hautement improbable »
Avant la suspension d’audience, un expert psychiatre, qui a examiné Brahim Aouissaoui à la prison de Fleury-Mérogis le 14 février, juge « hautement improbable » qu’il souffre d’une « amnésie dissociative », théorie avancée par l’accusé. Selon lui, il s’agit plutôt d’un « mécanisme de défense ».
D’abord affirmant ne se souvenir de rien, Brahim Aouissaoui a fini par admettre sa présence dans la basilique le jour de l’attentat, tout en affirmant ne pas comprendre son propre geste.
À l’isolement total en détention, il se trouve dans un état « dépressif », indique l’expert, qui précise néanmoins qu’il n’a montré « aucun comportement violent ou agressif » en prison.
Mais le médecin pointe un autre aspect : Brahim Aouissaoui « présente une faible capacité de réadaptation à ce stade en raison de son absence totale de remise en question et de son enfermement dans une posture idéologique rigide ».
Lorsque l’expert termine son rapport, les proches des victimes ont déjà quitté la salle. Dans son box, l’accusé paraît indifférent à son propre procès. Il joue distraitement avec ses mains, restant silencieux.
(Avec AFP)



