Le chiffre est effroyable : d'après le Guardian, au moins 6.500 ouvriers ont perdu la vie en dix ans sur les chantiers qataris de la Coupe du monde de football 2022. Les autorités, elles, ne reconnaissent qu'une quarantaine de décès, la plupart de "mort naturelle (sic)". La plupart étaient des immigrés exploités, soumis à des conditions de travail extrêmement difficiles, pour faire sortir de terre dans les temps stades, hôtels, et infrastructures diverses.
"La Coupe du monde de football ne peut pas être une 'tour de Babel' du sport, ce chantier biblique où un ouvrier mort au travail était aussitôt et continûment remplacé par un autre esclave, sans considération aucune pour la vie humaine" dénonce une tribune publiée le 8 mars par plusieurs députés chez nos confrères de "L'Opinion".
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Les 76 élus signataires, dont la députée LR des Alpes-Maritimes Marine Brenier, pointent des chiffres qui "posent la question des droits humains" alors que "la vie humaine (pourrait ne pas avoir plus de valeur qu'un) simple produit !"
"Le fait que la corruption, l’esclavage moderne et un nombre élevé de travailleurs morts soient à la base de la chose la plus importante que nous ayons, la Coupe du monde, n’est pas du tout acceptable" a déjà souligné la sélection norvégienne, avant de boycotter l'évènement. Reprenant à leur compte ce constat, les députés français n'appellent toutefois pas à une solution aussi radicale, pointant les "limites historiques" de ce type de démarche, mais rappellent que la "culture du sacrifice humain est en opposition et en négation avec nos plus hautes valeurs morales".
Avant de conclure : "nous appelons à ce que la dignité des travailleurs soit replacée au centre de ce grand projet international, avec toute l’attention et la bienveillance qu’ils méritent !"
Coupe du monde de la honte
Depuis 2010, le Qatar s'est lancé à corps perdu dans l'organisation de la CDM, un évènement tout à fait inédit au Moyen-Orient. Quitte à avoir recours à des travailleurs étrangers sous-payés (quand ils le sont) et soumis parfois à ce qui se rapproche d'un esclavage moderne, d'après les constatations de plusieurs ONG. Les journées y sont interminables, extrêmement physiques, avec des tâches harassantes menées sous quarante-cinq degrés.
C'est donc au prix de beaucoup de sang que la compétition va voir le jour, dans un silence relatif de la communauté internationale. En réponse à ces accusations d'atteintes aux droits humains, le président de la Fédération Noël Le Graët a balayé l'idée d'un boycott mené par les Bleus. "Le Qatar a été désigné depuis longtemps par des gens responsables" a-t-il avancé. Oubliant là peut-être qu'une enquête est justement en cours depuis plusieurs années à propos des conditions de cette attribution. En France, le parquet national financier a ainsi ouvert fin 2019 une information judiciaire pour "corruption active et passive", "recel" et "blanchiment".
Pour comptabiliser ces 6.500 décès, le Guardian a pu se baser sur les données communiquées par les ambassades de l’Inde, du Bangladesh, du Pakistan, du Népal et du Sri Lanka. Le nombre de morts est très probablement sous-estimé, tant le procédé employé est lacunaire : les travailleurs kenyans et philippins, qui constituent une grande partie de cette main-d’œuvre, n'ont pas été comptabilisés.
L'émirat souhaite, et on le comprend, envelopper de mystère la situation. Ainsi, en avril 2011, deux journalistes de la télévision publique suisse qui tournaient un reportage sur la question ont été retenus sur place pendant treize jours, sans aucune explication de la part des autorités. Leurs caméras ont été confisquées, et une amende a dû être payée par la RTS.
Depuis quelques années, différentes réformes ont toutefois été menées. Le Qatar a par exemple aboli différentes dispositions qui obligeaient les travailleurs migrants à demander l’autorisation de leur employeur pour changer d’emploi ou pour quitter le pays. Des avancées qui ne sont pas toujours réellement appliquées dans la réalité, comme le dénonce notamment Amnesty International.
- Lire l'enquête du Guardian en anglais : Revealed : 6,500 migrant workers have died in Qatar since World Cup awarded