Les grues de la future tour luxueuse de plus de 200 mètres de hauteur regardent le golfe Saronique, une légère houle plisse la surface scintillante de la mer Egée. A leur pied des engins de chantier brassent la poussière.
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Difficile encore de s'imaginer que dans la banlieue balnéaire d'Athènes, à dix kilomètres de l'Acropole, une nouvelle cité de "trois fois la taille de Monaco", selon le patron du groupe propriétaire du site, doit entièrement sortir de terre d'ici 2036.
Outre cette "Riviera Tower", futur plus haut gratte-ciel de la capitale grecque qui doit être achevé fin 2026, des immeubles, des villas, deux hôtels, des centres commerciaux ("Riviera Galleria"), une université, un port de plaisance etc. vont se déployer sur ce territoire.
Quelque 30.000 personnes devraient vivre à terme sur ces 6,2 kilomètres carrés.
Un projet pharaonique de 8 milliards d'euros financé par des fonds privés, symbole, selon ses promoteurs, de la renaissance de la Grèce après les années du marasme financier. Un futur "ghetto pour riches", dénoncent ses détracteurs.
Tous les Athéniens connaissent le site d'Ellinikon. Jusqu'en 2001, les vols nationaux et internationaux atterrissaient ici, au sud de l'agglomération. Depuis, l'aéroport a déménagé mais l'ancien aérogare international, classé, va être réhabilité en salle d'exposition.
Durant les jeux Olympiques de 2004, des compétitions sportives comme le canoë-kayak ou le hockey sur gazon s'y déroulèrent.
Vint finalement la crise financière qui frappa durement les Grecs.
Privatisations imposées
Fleurirent jardin autogéré, épicerie solidaire, centre médical avec soins gratuits, pour combler localement les manquements d'un Etat en quasi faillite. Des réfugiés y furent aussi provisoirement hébergés durant la crise des migrants en 2015.
Dans le cadre des privatisations imposées par ses créanciers, Athènes fut finalement contraint de céder Ellinikon.
En 2014, c'est le groupe Lamda Development, holding spécialisée dans le l'investissement et la gestion de biens immobiliers, qui emporta la mise pour moins d'un milliard d'euros.
Aujourd'hui il a commencé de bâtir "le plus grand parc côtier du monde" avec un tiers de la surface réservée aux espaces verts, accessibles à tous, précise le dirigeant de Lamda Development, Odisseas Athanasiou devant une maquette du projet.
Ellinikon sera "une ville intelligente" avec des solutions technologiques avancées, assurent d'autres responsables qui cornaquent une équipe de l'AFP en mini-bus à travers l'immense chantier.
"Nous construisons à partir de zéro, c'est un gros avantage", reprend le patron de cette société détenue en majorité par un magnat grec, Spyros Latsis.
"Des villes comme Singapour, Copenhague ou Amsterdam ont fait des choses incroyables en matière technologique. Mais elles ont dû adapter ce qu'elles ont développé à une infrastructure existante", insiste-t-il.
Au total, le parc comprendra 8.000 à 9.000 logements. Le prix des plus luxueux, dans la Riviera Tower en construction, peut grimper jusqu'à 25 millions d'euros, selon M. Athanasiou.
Inabordable ?
L'appartement le moins cher sera vendu environ 400.000 euros, ajoute-t-il.
Absolument inabordable pour de nombreux Athéniens, assurent les voix critiques.
"Ce n'est pas un projet de développement immobilier, c'est une colonie offshore", tance ainsi Nikos Belavilas, directeur du laboratoire d'environnement urbain de l'Université nationale technique d'Athènes.
"Nous aurons une communauté fermée isolée de la ville avec des gratte-ciel, des casinos pour les fortunes du pétrole", critique-t-il.
Athènes, capitale de béton aux rues brinquebalantes et qui a poussé de manière désordonnée, manque cruellement d'espaces verts.
Or Ellinikon représentait "une chance d'avoir un grand espace vert urbain", souligne-t-il en regrettant qu'il ne soit pas devenu un Tempelhof athénien, du nom de l'ancien aéroport de Berlin-Ouest transformé en un immense espace ouvert à tous au centre de la capitale allemande.
Le développement d'Ellinikon est "grave à plusieurs niveaux" en particulier en matière "de gestion macro-économique du pays", déplore aussi un architecte athénien.
L'Etat grec, acculé à l'époque, a bradé le site, fustigent de nombreux Grecs.
Mais Odisseas Athanasiou rétorque : "Quand la privatisation a eu lieu, nous étions les seuls à répondre à l'appel d'offres". A l'époque, investisseurs et capitaux prenaient la poudre d'escampette.
Aujourd'hui, le projet va "renforcer la crédibilité du pays à l'étranger, mise à mal pendant les années de crise", poursuit-il, assurant que jusqu'à 80.000 emplois vont être ainsi créés.