« Je ne vis plus en redoutant qu’un attentat puisse survenir, mais en me demandant quand aura lieu le prochain », confie lundi devant la cour d’assises spéciale de Paris l’un des cinq premiers policiers municipaux à être entrés dans la basilique de Nice après l’attaque du 29 octobre 2020.
Ce jour-là, trois victimes, Nadine Devillers, Simone Barreto Silva et Vincent Loquès, ont été brutalement assassinées à l’arme blanche au sein de l’édifice religieux. Les cinq primo-intervenants, qui ont réussi à neutraliser l’assaillant Brahim Aouissaoui, un Tunisien radicalisé de 21 ans, refusent d’être qualifiés de héros.
Marqués par un traumatisme persistant, ils préfèrent témoigner anonymement, redoutant que leur identification ne mette en péril la sécurité de leurs proches.
Tous gardent en mémoire le « regard noir et haineux » de l’accusé qui, selon le brigadier-chef P.S., « s’est précipité sur nous, couteau en main », avant d’être stoppé par les tirs des policiers. « Il nous attendait », insiste-t-il.
Cet événement a bouleversé leur existence. À 56 ans, l’ancien brigadier-chef a quitté la police après l’attaque. « Les victimes de l’attentat font désormais partie de mes défunts », murmure-t-il, la voix chargée d’émotion.
Un autre ex-policier municipal, 36 ans, raconte l’impact irréversible de cette journée sur sa vie. « Je ne peux plus rester seul chez moi, ni reprendre mes missions sur la voie publique. Ma perception du monde a changé. Je me mets en colère plus facilement, j’ai peur, je suis dans un état permanent de paranoïa », confie-t-il.
Les témoignages s’enchaînent, parfois à distance depuis Nice, chaque intervenant peinant à exprimer l’intensité du traumatisme. « Se reconstruire est extrêmement difficile », résument-ils.
« Je continue de me réveiller en pleine nuit. Les images tournent en boucle dans ma tête », dit l’un d’eux.
Face à cette détresse, l’avocate générale du parquet national antiterroriste (Pnat) rappelle les mots d’une enquêtrice de la sous-direction antiterroriste (Sdat) qui a témoigné quelques jours plus tôt : la réaction des primo-intervenants a été « rapide, rigoureuse, exemplaire, héroïque…».
Mais ces éloges ne suscitent chez les policiers qu’un sourire teinté d’amertume.
L’un d’eux rappelle que sa famille a déjà été frappée par la terreur : son père, également policier municipal à Nice, était en poste lors de l’attentat du 14 juillet 2016 sur la Promenade des Anglais.
« Après ça, je ne l’ai plus reconnu… Aujourd’hui, je me retrouve en lui », confie-t-il. Le jour de l’attaque, il n’a pas pu faire usage de son arme : un collègue se trouvait dans sa ligne de tir.
« J’ai vécu la scène comme un spectateur impuissant, me voyant mourir sans pouvoir me défendre. À cet instant, j’étais certain que j’allais succomber ou être blessé au couteau », se souvient-il. Depuis, le cauchemar perdure.
« Cette nuit-là, je n’ai pas fermé l’œil. Les images me hantaient », raconte-t-il, la gorge serrée. Il ne parvient plus à se nourrir correctement.
S’il tente de reprendre son métier de policier municipal, il réalise rapidement que « chaque jour devient plus difficile ».
« L’attentat a changé à jamais ma vision du monde, déclenchant en moi une vigilance exacerbée. Il ne s’agissait plus d’arrêter un voleur, mais de me préparer au pire, d’anticiper un nouvel attentat », explique-t-il.
Ses supérieurs le retirent alors des missions sur le terrain, mais l’idée de travailler dans un bureau, sans gilet pare-balle, lui est insupportable. Il enchaîne les arrêts maladie.
« Octobre est devenu pour moi un mois de descente aux enfers », confie-t-il, de plus en plus tendu.
Mais cette souffrance ne se limite pas à une période de l’année. « Revenir sur les lieux ? Impossible. Aller au centre-ville ? Inenvisageable. Affronter la foule ? Très difficile. Voir des amis, oui, mais jamais dans un endroit fréquenté », détaille-t-il devant la cour.
« J’avais 23 ans lors des faits, j’en ai 27 aujourd’hui. Une partie de ma jeunesse a été brisée, irrécupérable », souffle-t-il, épuisé. Le procès doit se poursuivre jusqu’au 26 février.
(Avec AFP)



