Dans un contexte explosif, le député LR a proposé un texte visant à interdire la diffusion sur les réseaux sociaux d'images illustrant les violences policières. L'idée, qui a peu de chance de se concrétiser, suscite une vaste polémique.
SOCIÉTÉ — C'est une initiative qui est loin, très loin de faire l'unanimité. Éric Ciotti a déposé, mardi 26 mai, une proposition de loi à l’Assemblée nationale visant à interdire "la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, de l’image des fonctionnaires de la police nationale, de militaires, de policiers municipaux ou d’agents des douanes" sous peine d’une condamnation à 15.000 euros d’amende et un an d’emprisonnement.
Les forces de l’ordre doivent être "non identifiables dans l’espace médiatique, y compris sur les réseaux sociaux", dit le texte.
"Protéger les policiers"
Objectif ? Lutter contre le "policier bashing qui se développe dangereusement" tout en protégeant les fonctionnaires de police d’un "climat d’insécurité" alors qu’"il est devenu fréquent que [certains d’entre eux] ou leur famille soient menacés, voire suivis et agressés jusqu’à leur domicile."
L’objectif est de "protéger les policiers", avance également Alliance Police nationale, l'un des syndicats à l’origine de la proposition de loi.
La veille du dépôt, George Floyd, un afro-américain de 46 ans, mourrait lors d'une interpellation controversée à Minneapolis, aux États-Unis. Les policiers, dont au moins un est accusé d'"homicide involontaire coupable", ont été licenciés. Plusieurs enquêtes sont ouvertes, menées par la police locale et par le FBI.
La diffusion d'une vidéo (réalisée par les passants) de l'agonie de M. Floyd a soulevé une indignation internationale, de nombreuses réactions politiques et de larges manifestations contre le racisme dans toutes les grandes villes américaines.

La proposition de M. Ciotti intervient donc dans un contexte particulièrement brûlant.
Depuis, comme le rapporte "Le Monde", l'idée du député LR des Alpes-Maritimes a lancé "un véritable tollé". Plus de 300.000 signatures ont même été réunies sur une pétition déposée contre cette proposition de loi sur la plateforme Change.org.
"Interdire de filmer serait une atteinte grave à nos libertés Mais JAMAIS ma proposition de loi interdit de filmer !" se défend Éric Ciotti sur Twitter.
"Quand on est journaliste, le devoir est de dire la vérité et non pas de désinformer pour des raisons militantes" — Éric Ciotti
L'affaire George Floyd aurait-elle connu un tel écho aux États-Unis et dans le monde si les images de sa mort atroce n'avaient pas été diffusées sur les réseaux sociaux ? Sans doute pas.
Dans un communiqué, co-signé par une vingtaine d’associations et de journaux indépendants, le Syndicat national des Journalistes (SNJ) s'oppose vivement à l’anonymat des forces de l’ordre qui participerait de leur impunité :
"Sans ces vidéos, la réalité des violences policières resterait trop souvent invisibilisée, niée dans son existence même", explique le texte.
Les images diffusées dans le passé ont "permis à la société entière de progresser dans la prise de conscience de l’existence des violences policières" et constituent des "éléments de preuves pour la justice, comme pour la mort de Cédric Chouviat, d’Aboubakar Fofana, et d’autres victimes", souligne encore le communiqué.
"Menace pour la liberté d’informer"
Pour le SNJ, il faut même aller plus loin et "renforcer les possibilités de l'identification (des policiers) dans le but de prévenir les violences."
"Ce texte constitue une grande menace pour la liberté d’informer", alerte de son côté Arié Alimi, avocat au barreau de Paris et membre de la Ligue des droits de l’homme, cité par nos confrères de RTL.
Le ministère de l'Intérieur a assuré la semaine dernière qu'il ne soutenait pas le proposition de loi défendue par Éric Ciotti et les syndicats policiers.
En décembre dernier, un sénateur LR s'était lancé dans une initiative semblable, sans succès.