À l’invitation du maire Christian Estrosi et de l’écrivain Henry-Jean Servat, Charles Bonaparte était en visite à Nice ce mercredi 29 mai. Le descendant de la famille impériale a convié Nice-Presse à la terrasse de La Petite Maison pour un échange à bâtons rompus sur l’actualité.
“Napoléon VII” pour certains, Charles Bonaparte est l’arrière-arrière-petit-fils de Jérôme, le frère cadet de Napoléon Ier.
NICE-PRESSE - Nice est une ville impériale, Christian Estrosi se dit bonapartiste (influencé par Napoléon III), nous avons inauguré il y a peu un quai Napoléon Ier au Port… vous sentez-vous “chez vous” dans notre cité ?
Charles Bonaparte : “Nice est effectivement une ville que j’aime beaucoup, je m’y sens bien. J’y venais enfant, j’y reviens de temps en temps. J’ai aussi d’excellentes relations avec votre maire, Christian Estrosi, que je verrai tout à l’heure à la Cinémathèque pour un échange sur Napoléon.”
Que reste-t-il de l’Empereur dans nos vies ?
“Je ne me sens pas ‘bonapartiste’ moi-même, je pense que son héritage est culturel et historique. Il a marqué son temps, par sa défense de plusieurs libertés que nous avons su conserver jusqu’à aujourd’hui : celle des cultes avec le Concordat, celles consacrées par le Code civil, le droit de propriété…
Avec la Fédération européenne des cités napoléoniennes que je préside, nous nous attachons à proposer une approche culturelle commune de ces villes liées à l’empereur. Chaque pays a sa vision de lui, mais j’ai la fierté de dire qu’ils le considèrent tous comme une sorte de héros fondateur. Le Conseil de l’Europe, garant des valeurs de l’UE, nous soutient énormément.”
Dans leur exercice du pouvoir, nos présidents de la République ont-ils un “côté napoléonien” selon vous, comme certains critiques l’estiment parfois ?
“C’est une vision de journaliste, parfois une caricature. Je ne le pense pas, la société et les défis auxquels nous sommes confrontés sont tout à fait différents. Napoléon Ier a sauvé un pays confronté à la guerre civile, à des tentatives d’invasion, à la misère. La comparaison avec les présidents serait hasardeuse.”
On peine à imaginer l’une de nos personnalités politiques actuelles avoir dans 200 ans l’aura que l’empereur a parmi nous aujourd’hui. Comment l’expliquez-vous ?
“C’est une très bonne question, que je me pose également. La temporalité n’est vraiment pas la même. Tout va plus vite, les attentes des Français sont différentes, leur perception également. Je doute qu’un homme politique soit à même de marquer l’Histoire de son empreinte comme les autres personnalités qui ont fait notre passé.”
Les commémorations de la mort de Napoléon ont lancé des débats passionnés sur son héritage. Vous-même, vous défendez un droit d’inventaire…
“Nous pouvons tout à fait reconnaître tout ce que l’on doit à Napoléon Ier, tout en prenant de nettes distances sur certains points. Je suis un défenseur de la stricte égalité entre les femmes et les hommes et un farouche adversaire, évidemment, de toute forme d’esclavage.
Certains grands philosophes, comme Rousseau ou Voltaire, ont écrit des choses très irrespectueuses sur les habitants des îles par exemple, qui sont tout à fait inacceptables aujourd’hui, bien sûr. Mais ce sont de grands écrivains.
J’ai le sentiment que ce débat est très sain, il contribue à l’Histoire. Ces questions se sont déjà posées, dans les années 1970, mais les échanges avaient été bien moins riches que ceux de ces derniers mois.”
Quel est votre regard sur la “cancel culture”?
“Je suis très choqué par la décapitation de la statue de Joséphine (de Beauharnais, première épouse de Napoléon, NDLR) à Fort-de-France. Le symbole me dérange, et si certaines oeuvres blessent, nous pouvons les déplacer dans un musée où elles seraient contextualisées, débattues, pour engager des échanges respectueux de tous.”
-- Propos recueillis par Clément Avarguès le 26 mai 2021