Sur Twitter, la députée des Alpes-Maritimes Marine Brenier établit clairement un lien : "Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Cette phrase de Simone Veil peut s'appliquer à la fin de vie : personne ne recourt de gaité de cœur à l'euthanasie!"
Avant de lancer : "ayons l’intelligence du cœur : dépénalisons l’Aide active à mourir!" Voilà plusieurs semaines que l'élue azuréenne prépare son combat, peaufine sa proposition de loi, sonde ses collègues députés, va à la rencontre des interlocuteurs concernés, en France comme à l'étranger. Objectif pour 2021 : légaliser l'euthanasie dans notre pays, alors que c'est le cas depuis de nombreuses années, déjà, chez certains de nos voisins européens (voir encadré).
96% y sont favorables, d'après une vaste étude menée par l'Ipsos en mars 2019.
Selon un sondage Ifop pour La Croix publié en janvier 2018, les catholiques pratiquants sont 34% à être "pour" la légalisation de l’euthanasie.
Justement, Marine Brenier rentre à peine d'un voyage parlementaire sur le sujet en Belgique. Que pourrait-on importer du modèle développé par nos amis outre-Quiévrain ? "À peu près tout !" s'enthousiasme-t-elle auprès de Nice-Presse. "J'y allais avec appréhension, j'en reviens rassurée. Là-bas, les choses sont sûres, saines".
Où en est-on en France, après les deux lois portées par l'actuel maire d'Antibes, Jean Leonetti ? "Ces deux textes ont permis des avancées profondes sur la dignité des personnes (en 2005 et 2016, ndlr). L'un a proscrit l'acharnement thérapeutique et l'autre a développé les soins palliatifs." Sauf que cette dernière option serait encore absente dans une vaste partie du territoire : "selon l'endroit où vous habitez en France, vous n'aurez pas les mêmes possibilités pour partir" regrette Marine Brenier. Un quart du territoire serait suffisamment couvert, raison pour laquelle la proposition de loi garantirait un "droit d’accès universel".
Le procédé actuel pose également question. "Ce qui est arrivé à mon grand-père me pose un problème éthique, par exemple. En fin de vie, les patients peuvent être plongés dans une sorte de coma, au cours duquel on ne leur administre plus de traitement, mais pas d'eau ni d'alimentation non plus, jusqu'à ce qu'ils partent."
"Comment estimer que nos proches peuvent partir dans la dignité dénutris et déshydratés ? On n'en a pas la certitude, mais on pense que mon grand-père a souffert dans les dix jours qui ont précédé sa mort. Cela pose un vrai problème au regard des droits humains" Marine Brenier à Nice-Presse
Nous continuons cette journée avec Jean-Paul Van Vooren qui nous parle du rôle des soins palliatifs : écouter le patient, comprendre son histoire, ses inquiétudes, ses attentes. Faire participer le patient pour adapter les soins à sa propre définition de la fin de vie. #ADMD pic.twitter.com/2HXZffJVoP
— Marine Brenier (@marinebrenier) January 15, 2021
Exemple concret soumis à Marine Brenier : une Française âgée, atteinte d'une douloureuse maladie à un stade très avancé. Que se passerait-il si l'euthanasie était légale ?
Inspirée par le modèle belge (sans toutefois vouloir l'autoriser aux mineurs, contrairement à nos voisins), l'élue développe alors point par point le chemin à parcourir, bordé de précautions et de garde-fous très clairs, histoire d'écarter "les caricatures de dérives que l'on entend parfois pour éviter un vrai débat sur la question".
Les Pays-Bas (2001), la Belgique (2002) et le Luxembourg (2019) l'ont déjà légalisée. En Irlande, un projet de loi est discuté, tout comme en Espagne, où une loi a été votée en première lecture le mois dernier. Le Portugal a également pris cette voie ces dernières semaines.
Le procédé, étape par étape
- La patiente va faire part de sa volonté de partir à son médecin traitant, "qui connaît bien sa pathologie et peut évaluer sa gravité, son avancée".
- Le praticien dispose d'une "évidente clause de conscience. Il peut valider le principe d'une euthanise mais ne pas vouloir l'effectuer par lui-même". Ou bien la refuser tout net.
- Si l'euthanasie est "validée", un autre professionnel pourra l'effectuer. Si le médecin l'a refusé, un autre, "voire deux ou trois" examineront la dossier, échangeront avec la patiente, "éventuellement appuyés par un psychologue, avant d'arrêter une décision collégiale".
- La dame âgée devra "réitérer sa volonté éclairée plusieurs fois"
- Un délai peut suivre, sauf si la maladie est à un stade très avancé
- La patiente peut faire marche arrière "à tout moment, même le jour J alors que le médecin va commencer son intervention"
- L'aide active à mourir pourra être donnée à l'hôpital, ou au domicile du patient : "c'est important pour beaucoup de personnes âgées. Nous allons également voir comment nous pourrions le rendre possible dans les EHPAD"
La proposition de loi de Marine Brenier a été déposée fin décembre à l'Assemblée nationale.
Pour l'élue niçoise, notre société a tellement changé ces dernières années qu'elle serait enfin assez mature pour franchir cette étape : "je le vois avec les députés de droite à l'Assemblée : au moins une bonne quinzaine voterait pour, en plus des LREM qui y sont majoritairement favorables. Cette loi a de bonnes chances de passer". Comment expliquer que nous ayons avancé moins vite que la Belgique ou la Suisse ? "Traditionnellement, la France est la fille aînée de l'Église, avec des lobbys religieux très puissants qui ont pu contribuer à freiner les choses. Macron a mis en avant la PMA (procréation médicalement assistée, ndlr) et avant lui Hollande a fait passer le mariage pour tous. Ils ont dû dealer avec l'Église ces progrès-là, sans en faire avancer d'autres, comme l'aide active à mourir".