Les effondrements du 5 novembre 2018 rue d'Aubagne "étaient absolument inéluctables", selon les experts qui ont livré mercredi leur scénario de ce drame du logement indigne à Marseille, apportant des éléments sans doute déterminants pour évaluer les responsabilités pénales des 16 prévenus.
Dans la salle des procès hors norme du tribunal judiciaire de Marseille, la mère de Simona Carpignano, une des huit locataires décédées sous les gravats ce 5 novembre 2018, s'est rapprochée des écrans où sont projetés les croquis complexes des experts, prenant des notes avec application.
Ce moment était attendu car il pourrait permettre de déterminer les éventuels manquements de la part des copropriétaires, du syndic, de l'architecte Richard Carta, qui avait réalisé une expertise le 18 octobre 2018, ou de Julien Ruas, alors adjoint du maire de l'époque Jean-Claude Gaudin, absent comme la veille pour ce quatrième jour d'audience.
"Ce qui explique cet effondrement brutal c'est que tous les feux étaient au rouge et donc rien n'a pu l’arrêter", ont assuré Fabrice Mazaud et Henri de Lepinay, deux experts-architectes nommés par les juges d'instruction pendant l'enquête.
Ils ont retracé l'histoire des numéros 63, 65 (le seul habité) et 67 de la rue d'Aubagne. Ces trois bâtiments datant du 17e siècle, au coeur du quartier populaire de Noailles, ont subi de multiples modifications au fil de l'histoire, de nombreux dégâts des eaux, et surtout ils ont été mal entretenus, avec une multiplication d'alertes dans les 15 ans précédant les faits.
Puis il y a eu une "accélération exponentielle des signes avant-coureurs" dans les jours précédents, relèvent les experts. En témoignent les signalements de détresse des locataires, qui n'arrivaient plus à ouvrir leurs portes et voyaient les fissures s'agrandir.
"Sortir les gens de ça"
Trois points ont cristallisé les difficultés : un poteau en état de désagrégation dans la cave du 65, que Richard Carta, mandaté le 18 octobre 2018, n'avait pas pris la peine de visiter ; la cloison dans l'entrée, qui venait d'être reconstruite sur ordre de ce même expert ; et le mur mitoyen entre les numéros 63 et 65, gonflé, déformé et prêt à exploser, mais qui était dissimulé par une cloison et n'avait pas été examiné lors d'une autre visite d'expert, le 25 octobre.
Le 18 octobre, après l'expertise de Richard Carta, seul un locataire avait reçu l'ordre d'évacuer. "Pourquoi ce n’est pas inéluctable dès le 18 octobre ?", demande Me Philippe Vouland, avocat de la famille d'une mère de famille décédée.
A partir du moment où on découvre le "bouffement" du mur mitoyen, "l'effondrement est totalement inéluctable. Il n'y a plus rien qui peut écarter ça", selon Fabrice Mazaud. "Et soit on est capable de mettre en place des confortements tout à fait singuliers, soit on considère que c'est même pas gérable et il faut sortir les gens de ça".
Pourtant, après cette découverte, les occupants mais aussi des artisans et le syndic ont continué à entrer dans l'immeuble, remarque le président du tribunal correctionnel, Pascal Gand.
"Manifestement aucun de ces intervenants ne réalise qu’il y a un danger gravissime", répond l'expert.
Pour les deux architectes, "ce qui a provoqué l'effondrement, c'est la rupture du poteau dans la cave du 65 et/ou le transfert brutal de charges sur le mur séparatif (NDLR : avec le numéro 63), lui même très fragilisé et à la limite de la rupture. Ca s'effondre et tout s'effondre dessus (…). C'est ça qui va provoquer l'effondrement du 65 et du 63 qu'il entraîne".
Mais, comme souvent dans une catastrophe, c'est "une conjugaison d'éléments" qui a conduit à ces effondrements, reconnaissent-ils, interrogés par Me Jean Boudot, l'avocat du bailleur social propriétaire du numéro 63, une coquille vide devenue totalement insalubre : isoler un élément plutôt qu'un autre "est compliqué".
Jeudi, le tribunal correctionnel de Marseille va continuer à étudier les causes mécaniques de ces effondrements, renvoyant au 25 novembre le début de l'examen des éventuelles fautes pénales des prévenus, après une semaine consacrée aux parcours de vie des huit victimes.