Lorsqu'elle traverse la salle des pas perdus du tribunal, Gisèle Pelicot est chaleureusement applaudie. Des avocats, eux, y ont été conspués. Au procès des viols de Mazan, les arguments et le ton de certains défenseurs des accusés ont choqué, illustrant la difficulté de leur mission.
Faut-il, comme s'y sont employées Me Isabelle Crepin-Dehaene et Me Nadia El Bouroumi, attaquer frontalement Gisèle Pelicot, devenue en quelques semaines une icône de la lutte contre les violences faites aux femmes, en lui prêtant des mœurs légères pour sous-entendre qu'elle a pu être consentante ?
Est-il nécessaire d'affirmer, comme Me Guillaume De Palma, qu'il y a "viol et viol" afin, semble-t-il, de minimiser l'intention réelle de certains des 50 coaccusés de Dominique Pelicot, l'ex-mari qui reconnaît avoir drogué sa femme pour la livrer sexuellement à des inconnus recrutés sur internet, dont beaucoup affirment avoir pensé participer au jeu sexuel d'un couple libertin ?
"Des mots qu'il faut s'interdire de prononcer", estime un autre avocat de la défense, "il n'y a pas de nuance dans le viol".
Ou bien vaut-il mieux s'appuyer sur le rapport d'un psychiatre pour faire passer son client pour un "benêt"?
Gisèle Pelicot, principale victime de ce procès au retentissement international, a répondu sur le vif, lors de son second interrogatoire devant la cour criminelle de Vaucluse, où le procès s'est ouvert le 2 septembre.
"Humiliée"
"Depuis que je suis arrivée dans cette salle d'audience, je me sens humiliée. On me traite d'alcoolique, que je me mette dans un état d'ébriété tel que je suis complice de monsieur Pelicot." Les "50 (accusés) ne se sont pas posés la question (du consentement)? C’est quoi ces hommes, c'est des dégénérés ou quoi?", a-t-elle tonné.
Nadia El Bouroumi, qui a l'habitude depuis des années de poster sur Instagram ses commentaires sur les procès qu'elle suit, parfois au volant de sa voiture et sur fond de musique pop, s'est défendue d'avoir "à aucun moment cherché à se moquer de Gisèle Pelicot", après une publication polémique.
"Depuis le début de ce procès, je subis des menaces, du harcèlement, des insultes publiques. Mes enfants sont également victimes de harcèlement (…) Cette pression publique et médiatique incessante me musèle et m'empêche de défendre mes clients de manière impartiale", a-t-elle dénoncé sur Instagram, où elle compte plus de 50.000 "followers".
"La victime c’est elle, pas vous", lui a répondu le comédien et activiste LGBT Guillaume Mélanie.
"J’ai des confrères qui se font insulter, qui se font menacer. C'est compliqué", confie une avocate au procès qui, craignant pour sa sécurité, préfère garder l'anonymat.
L'un des conseils de Gisèle Pelicot, Me Stéphane Babonneau, a estimé que "sous couvert de poser des questions, on a asséné" à sa cliente "des avis et des jugements qui visaient à la déstabiliser".
Tous les avocats de la défense n'ont pas adopté ce ton virulent, même s'ils questionnent les faits ou les intentions, à commencer par Me Béatrice Zavarro, qui défend d'une voix posée Dominique Pelicot. Et souscrit aux mots de Me Patrick Gontard, 45 ans de métier, qui souligne : "La défense a le droit de contester les propos d'une partie civile. On peut tout dire mais à condition de savoir le dire."
"Immunité d'audience"
Me Olivier Lantelme, avocat d'un accusé reconnaissant les faits, raconte à l'AFP les propos d'un ami kinésithérapeute : "Un de ses patients lui a dit : 'Ces avocats qui osent les défendre, je les égorgerais tous'."
"On sent dans l'enceinte judiciaire, dans la salle des pas perdus, une certaine forme d'animosité vis-à-vis des accusés, qui se font conspuer, et pourquoi pas vis-à-vis de leurs avocats, tous mis dans le même sac. S'il y en a un qui dérape, c'est tous les avocats qui dérapent, estiment certains. Moi, j'ai eu le souci de ne pas déraper."
Et de rappeler des principes essentiels de la justice : "C'est bien parce qu'il a pu être défendu, que tout a pu être dit, qu'on s'assure que quand l'homme est déclaré coupable, on ne commet pas une erreur." Sans compter l'importance du débat pour fixer la peine, "qui doit préparer l'avenir pour que la personne condamnée se réinsère".
Roland Rodriguez, président de la commission "Règles et usages" au Conseil national des barreaux (CNB), rappelle qu'il "existe le principe de la liberté d’expression, et celui de l'immunité d'audience, reconnue par la Cour européenne des droits de l'Homme".
"Même hors audience, l’avocat, peut, avec le mandat de son client, user de cette liberté d'expression et exposer sa stratégie de défense", ce qui "n'est pas un problème, tant que l’on ne porte pas atteinte aux principes essentiels de la profession d’avocat, qui sont -entre autres- la délicatesse, la dignité, la modération et la loyauté", insiste-t-il.
Charge aux bâtonniers de "faire respecter la déontologie" avec l'ouverture possible d'enquêtes déontologiques, de poursuites disciplinaires pouvant "aller d'un blâme à une radiation".
Dans un communiqué, le bâtonnier du barreau d'Avignon, Philippe Cano, a "insisté" en début de semaine pour que "règnent la sérénité des débats, la décence des propos et des comportements de chacun, pendant et après l'audience". Tout en soulignant que "la cour criminelle reste la seule apte à juger de cette affaire au terme de plusieurs mois de débats".
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