Souvent la dernière étape avant la demande d'expulsion, le Conseil des droits et devoirs de Côte d'Azur Habitat, principal bailleur social du département, représente une chance pour certains locataires de revenir sur le droit chemin. Une instance dédiée au dialogue… et aux fermes avertissements.
Nice-Presse a pu y assister cette semaine.
Anthony Borré a lancé ce chantier dès son entrée en fonction. Premier adjoint au maire de Nice notamment chargé du Logement depuis juin 2020, il martèle, inlassablement, son credo sur le terrain et dans la presse : "pas de logement social pour les ennemis de la République". Un devoir d'exemplarité qui doit chasser les délinquants des appartements qu'ils ne méritent pas, alors que 16.000 Niçois déposent chaque année un dossier pour avoir accès aux HLM.
La municipalité fait également la chasse aux petites et grandes incivilités, qui, bout à bout, peuvent transformer en enfer la vie des résidents du parc social.
D'un règlement intérieur retravaillé par le nouveau président de Côte d'Azur Habitat et ses équipes est né le Conseil des droits et des devoirs, devant lequel les locataires déjà mis en demeure doivent répondre de leurs actes. Avant la demande d'expulsion, "dans le pire des cas, celui que nous essayons toujours d'éviter" est-il précisé en prémices de chaque entretien.
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Ce jeudi 20 mai, le Conseil est présidé par le premier adjoint de Christian Estrosi, entouré du directeur général de Côte d'Azur Habitat (CAH), du commissaire de la Police nationale Rabah Souchi, du patron de la municipale Richard Gianotti ainsi que d'une représentante élue par les locataires.
Convoqués, un jeune de 20 ans et son père du boulevard de Pessicart (Nice Nord) doivent s'expliquer sur une liste d'infractions longue comme le bras. Pêle-mêle : chicha dans les parties communes, dégradation d'un extincteur et d'une porte coupe-feu, squat, nuisances sonores… Coût estimé des différents actes de vandalisme : 10.000 euros pour la collectivité.
Les griefs ainsi exposés, vient le temps des explications. Le fils, venu en survet' à l'effigie de l'équipe de foot napolitaine, ne nie rien. Le père cherche des excuses. "Les jeunes ne peuvent pas trop sortir avec le confinement…" Un peu léger pour expliquer qu'une porte a été défoncée. "Fumer la chicha dans le hall, c'est pas bien mais…" tente-t-il encore. "Il n'y a pas de mais" le rembarre net Anthony Borré.
"Vous êtes en train de justifier l'injustifiable devant votre fils qui n'a pas l'air de vous craindre une seconde" abonde le commissaire Souchi. L'intéressé ne bronche pas. "Qu'est-ce que vous voulez ? Finir SDF ? Que l'on se voit en correctionnelle si tout cela s'aggrave ?"
Les deux convoqués répondent mollement. Le premier adjoint au maire tend la main : "Je sais qu'il est plus difficile de vivre le confinement dans certains quartiers plutôt que dans d'autres. Mais on ne vous demande pas grand chose : vivre calmement, sans casser, sans dégrader". Le jeune s'engage à se calmer, à s'éloigner de la bande avec qui il traîne. "Pense à ta formation en pâtisserie, pense ta soeur" lui rappelle-t-on.
Il n'y aura pas d'autre convocation : si de nouveaux faits étaient rapportés, la procédure pour la demande de résiliation du bail sera enclenchée. Le message est-il passé ? Il est permis d'en douter. Avant de partir, le père réclame des travaux dans l'immeuble en rouspétant. Sans s'excuser.
"Grand classique", certains locataires accusés de travail clandestin sur le parking de leur résidence et d'agression n'ont même pas pris la peine de se déplacer. Les procédures, graduées, vont évidemment suivre leur cours.
"Tout ce monde pour moi ?" Surprise par les uniformes, une mère d'une quarantaine d'années, accompagnée de son fils, prend place devant le Conseil. Habitant les Moulins depuis 2004, elle a déjà fait l'objet d'une mise en demeure en 2017.
Rassemblements d'une bande de jeunes, dégradation de la porte d'un local technique, chicha devant l'immeuble, pneus de voitures crevés… "Il n'y a que ça ?" demande la femme. "C'est déjà pas mal…" souffle son fils, gêné aux entournures.
Les atteintes au règlement se sont accumulées. Texte dont la locataire fait mine de ne jamais avoir eu connaissance. "Vous l'avez signé au même titre que votre bail" lui rappelle-t-on.
Et la mise en demeure ? "Je ne l'ai pas du tout reçue" répond-elle. Sur cet argumentaire bancal débarque son avocate.
La suite s'embourbe dans une mise en cause brumeuse des différents témoignages transmis au bailleur par les voisins mécontents. Un agent assermenté de Côte d'Azur Habitat est bien venu chez eux pour échanger… mais il a trouvé porte close. "Il était habillé en treillis-Rangers, je n'ai pas voulu le recevoir" ose le fils. "Vous n'avez pas à juger la tenue de nos agents" rétorque Anthony Borré, un brin désabusé.
"Vous vous garez continuellement sur des places interdites, celles qui sont réservées aux employés de la bibliothèque" poursuit une employée de Côte d'Azur Habitat, une photo à la main. "Vous n'avez qu'à y mettre un panneau !" rétorque la mère de famille. Rabah Souchi s'agace : "et sur la plage, il vous faut aussi un panneau pour qu'on n'y trouve pas votre voiture ?"
L'avocate tente une diversion. "Vous n'en avez pas connaissance, mais une pétition signée par une bonne partie des voisins a été lancée contre ma cliente !" "Effectivement, nous ne le savions pas, mais je ne suis pas convaincu qu'il soit très malin d'alourdir encore votre propre dossier" lui répond le président de Côte d'Azur Habitat.
Le commissaire de police en perdrait presque patience : "La loi, ce n'est pas quand ça vous arrange. Votre façon de répondre me choque".
Les deux mis en cause ne comprennent pas bien en quoi poser leur vélo dans les parties communes est bien gênant. "Élever des enfants, c'est difficile et on se demande tous les jours si nous sommes de bons parents. Mais il n'y a pas de petites règles" souligne Anthony Borré. "Si tout le monde prend des libertés avec le règlement, nous ne pourrons plus garantir le vivre-ensemble auquel chacun aspire."
Après quelques relances, mère et fils promettent de rentrer dans le rang.
Une mère-célibataire des Moulins est la dernière convoquée du jour. Ses deux ados, 15 et 18 ans, causeraient des nuisances sonores dont se plaignent les voisins. La femme apparaît stressée dès le début de l'échange. "Ce n'est pas un tribunal ici, nous allons tout faire pour éviter des suites" la rassure Anthony Borré.
"Avec le confinement, les enfants se sont agités, ils chahutent un peu. Ce n'est pas facile" explique la locataire. Son garçon serait "difficile à canaliser". "Il devrait aller faire du sport, tout rouvre, il y a plein d'activités en ville" recommande Richard Gianotti, le directeur de la police municipale.
La femme s'engage à "faire plus attention" à calmer ses enfants et à discuter avec ses voisins. "On est là pour vous aider. Si vous avez besoin d'un éducateur pour votre fils, on peut y réfléchir, propose Anthony Borré. Je vais vous mettre en relation avec les services de la Ville pour qu'on puisse vous accompagner au mieux."
Le Conseil, agité, s'achève sur une note positive.