Le conseil municipal vient d'adopter une convention avec le procureur et le préfet pour accélérer les démarches visant à expulser les délinquants du parc social niçois. Une nouvelle illustration du principe de complémentarité entre la sécurité et la politique du logement prôné par le premier adjoint Anthony Borré.
NICE-PRESSE. On sait qu'il est très difficile de mener ces expulsions. En quoi cette convention pourrait-elle concrètement accélérer les procédures ?
Anthony Borré : "C'est un dispositif à la fois unique dans le département et très rare en France. Cette convention met en relation sur ces cas précis le parquet, le préfet, le bailleur et la Ville de Nice, dont la police municipale est partie prenante.
Si un individu habitant dans un logement social est repéré par la police nationale pour des faits graves (trafic de drogue, coups de couteau, rixes, jets de projectiles sur les forces de l'ordre, agression d'agents du service public…) nous voulons le savoir.
La jurisprudence en matière d'expulsion des délinquants est extrêmement fluctuante. Les informations s'échangeront plus facilement entre les différentes institutions, nous permettant de boucler des dossiers plus étayés, avec des preuves et des éléments clairs. Le juge civil, qui est décisionnaire, nous donnera ainsi plus facilement gain de cause."
N-P. Combien d'expulsions avez-vous réussi à mettre en place jusqu'à présent ?
A. B. : "Entre 2016 et 2019, concernant Côte d'Azur habitat (le plus important bailleur social des Alpes-Maritimes, NDLR), 52 procédures ont été engagées, 44 ont mené à une résiliation, soit parce que nous avons été entendus par la justice soit parce que les locataires sont partis d'eux-mêmes quand nous avons lancé cette procédure.
"Depuis mon entrée en fonction, il y a une accélération. De juin 2020 à aujourd'hui, 49 dossiers ont été lancés : 35 sont en attente d'une décision, 14 ont déjà pu aboutir"
Anthony Borré, premier adjoint au maire de Nice
N-P. Qui sont ces "délinquants" visés par ces procédures ?
A. B. : "Un exemple : l'un des jeunes qui a été pris le 31 décembre en train de jeter un projectile sur un policier à l'Ariane vit chez ses parents dans un logement social. Dans le même temps, on apprend qu'il a été pris par la police municipale à deux reprises pour trafic de stupéfiants au cours de l'année 2020. Il doit être expulsé.
Quand on vit dans le parc social, on ne peut pas être impliqué dans un acte de grande délinquance.
"Pas de logement social pour les ennemis de la République, c'est mon crédo et je ne lâcherai rien dans ce domaine"
Anthony Borré, premier adjoint au maire de Nice
N-P. Les expulsions de mineurs ont été critiquées dans la presse par ceux qui craignent des injustices sociales. En clair, qu'un grand frère qui va brûler une voiture soit sanctionné autant que sa petite soeur, victime collatérale de cette délinquance.
A. B. "Je crois au principe de responsabilité, j'assume l'idée selon laquelle les parents sont responsables de l'éducation et de la surveillance de leurs enfants mineurs, quel que soit leur âge. Perdre de vue ce principe, c'est perdre de vue sa qualité de parent.
Mais nous sommes des élus qui ont envie de comprendre et de dialoguer.
Sur chaque dossier, je sais qu'il y a des hommes et des femmes dans des situations familiales diverses. Il est plus difficile d'être élevé dans un quartier classé politique de la ville qu'ailleurs.
"Moi-même, j'ai vécu en Seine-Saint-Denis dans une cité, je sais que ce n'est pas toujours simple de vivre à l'Ariane ou aux Moulins"
Anthony Borré, premier adjoint au maire de Nice
Je veux donc dire que nous prêtons attention à chaque situation.
Ce principe de responsabilité s'applique aussi aux personnes que l'on héberge chez soi. Dans certains logements sociaux, nous avons des "nourrices" qui cachent le produit ou le recel des trafics. C'est inacceptable."
N-P. Il y a l'air d'avoir beaucoup de complications avant de pouvoir obtenir une réelle décision. La loi doit-elle évoluer ?
A. B. : "Ma réponse est oui, et je remercie d'ailleurs Dominique Estrosi-Sassone et les parlementaires qui s'engagent dans cette voie. Nous avons besoin d'un cadre législatif qui nous permette d'agir plus facilement, notamment contre les trafics de stupéfiants.
Ils me préoccupent grandement, dans le pays et dans notre ville.
"Nous avons augmenté de 100% les interpellations de la police municipale sur les trafics de stupéfiants entre 2019 et 2020!"
Anthony Borré, premier adjoint au maire de Nice
Cette multiplication par deux est inquiétante, alors même que la police municipale, dont ce n'est pas la compétence première, ne peut agir qu'en flagrant délit, et en uniforme. Ce chiffre n'illustre donc pas totalement l'extrême gravité de la situation.
J'ai remis au préfet et au procureur de la République une cartographie précise des points de deal que nous connaissons à Nice. Il faut mener une action résolue et déterminée contre ces trafiquants et leurs guetteurs. Trop de situations sur la route de Turin, aux Moulins, aux Liserons, à l'Ariane et à Roquebillère nous interpellent."
N-P. Au-delà de cette convention, il y a également un nouveau règlement qui s'applique aux locataires de Côte d'Azur Habitat. À quoi sert-il ?
A. B. : "Il a notamment créé un Conseil des droits et devoirs du locataire. Il convoque par exemple les jeunes auteurs de dégradations d'ascenseurs pour aller vers une prise de conscience. S'il n'y en a pas, nous voyons avec le procureur et le préfet quels sont nos moyens d'agir pour défendre le sens civique là où parfois on en manque cruellement. Cela concerne évidemment une minorité de la population, là où la majorité aspire juste à vivre normalement.
Tous ces actes doivent avoir une réponse, qui va de la lettre de rappel, à cette convocation jusqu'à l'expulsion pour les cas les plus graves.
"Chaque incivilité doit être sanctionnée, d'une manière ou d'une autre. C'est l'impunité qui a conduit ces dernières années une partie de notre société à un relâchement, à une perte des valeurs"
Anthony Borré, premier adjoint au maire de Nice
Nous avons recruté des agents chargés du cadre de vie et de l'application de ce règlement, ils vont être assermentés par le procureur pour être en capacité de dresser des procès verbaux. Sept ont été présentés ce mercredi."
N-P. Un relogement est-il prévu ?
A. B. "Non, et j'entends que ceux qui sont sanctionnés ne peuvent pas retrouver un logement social pendant cinq ans."
N-P. En quoi le logement et la sécurité sont-ils si complémentaires ?
A. B. : "Notre société toute entière a perdu de ses valeurs, des repères. La délinquance est de plus en plus aiguë, la violence se fait sentir. Quand vous voyez ce que des voyous sont capables de faire à Bernard Tapie, 78 ans, atteint d'un cancer… Certains n'ont aucun sentiment, aucune foi en rien. C'est donc notre devoir d'y répondre.
J'ai la capacité d'agir parce que Christian Estrosi m'a confié des délégations dont il a senti la cohérence : celle de la politique de la ville, la rénovation urbaine, la sécurité et le logement. Depuis que j'ai initié ces démarches, je reçois des centaines de témoignages, de gens qui me disent "merci, on souffre, on souffre, on souffre, mais on reprend espoir en espérant que les procédures iront au bout".
Sans sécurité, il n'y a pas de liberté. Ils doivent savoir que je ne les abandonnerai pas. Je suis déterminé, même si je n'ai pas non plus de baguette magique.
"Il m'est insupportable de savoir que certains locataires rentrent chez eux après une journée de travail avec la peur au ventre"
Anthony Borré, premier adjoint au maire de Nice
Certains ne peuvent même pas laisser leurs enfants faire du vélo devant leur immeuble de peur qu'ils soient ennuyés par de mauvaises fréquentations."
N-P. Christian Estrosi a dit dans nos colonnes que les efforts en la matière vont être poursuivis : beaucoup de Niçois attendent un logement social depuis très longtemps, où en est-on ?
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A. B. : "J'ai 16.000 demandeurs de logement social sur la Ville de Nice. 70% des habitants de la Métropole y sont éligibles. Évidemment, cela exige de nous, on ne peut pas se dérober face à nos responsabilités.
De ce point de vue, je m'inscris dans la droite ligne de l'action menée avant moi par Dominique Estrosi-Sassone, qui a oeuvré pendant douze ans.
Je crois à la nécessité, à l'utilité publique de construire du logement social, et du logement tout court. Je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi les élus du Rassemblement national au conseil municipal s'opposent à tous nos projets de construction, dans tous les quartiers.
N-P. Sur ces chantiers, la crise du Covid a-t-elle modifié vos plans ?
A. B. : "Bien sûr, nous devons toujours réfléchir à la qualité de ce que l'on produit, à l'importance des balcons, des parcs…
"Il faut aussi préserver le cadre de vie, notamment dans les collines, et s'opposer à la bétonnisation à outrance défendue par certains promoteurs sans scrupules"
Anthony Borré, premier adjoint au maire de Nice
Ma politique repose sur un équilibre, avec des constructions raisonnées et raisonnables, de petites entités avec des logements qualitatifs, plutôt que la quantité réclamée par la loi SRU."
N-P. Beaucoup d'élus tempêtent contre cette loi, en particulier sur la Côte d'azur. Faut-il la refonder ?
A. B. : "Absolument. Nous avons besoin d'espaces verts, on ne peut pas construire partout. Il y aussi un patrimoine à protéger, notamment les maisons niçoises de caractère. La loi SRU est totalement déconnectée des réalités du territoire, jusqu'à en être contre-productive."