Thomas Gioanni est l’un des derniers maraîchers à perpétuer la tradition dans la Plaine du Var, à Saint-Isidore. Né et élevé sur ces terres, il incarne à lui seul un lien précieux entre le passé agricole du secteur et un quartier en pleine mutation.
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"Je suis fils et petit-fils de paysans" lance-t-il, en pointant du doigt des terres, bordées de lotissements et de routes, où son grand-père gardait autrefois des moutons.
"Au départ, je n’étais pas agriculteur. J’ai travaillé comme tourneur-fraiseur à Monaco. Mais après dix jours, j’ai su que ce n’était pas fait pour moi." De retour au bercail, Thomas rejoint son père dans les champs. Son destin est tracé.
Adolescent, il découvre rapidement la dure réalité, mais aussi les fruits de l’effort. "Un jour, j’ai demandé de l’argent de poche, comme mes autres copains, qui recevaient 30 francs. Mon père m’a répondu : ‘Je te donne 300 francs mais tu te lèves le matin pour aider les ouvriers à ramasser les blettes.’ Ça a tourné dans ma tête et j'ai fini par accepter."
À 14 ans, il s’offre une mobylette neuve. À 18 ans, une Subaru Impreza. "À l’époque, on vivait très, très bien. Quand on rentrait du marché, le tableau de bord du camion était couvert de billets. On vendait parfois jusqu'à 700 kg de courgettes !"
Les agriculteurs locaux se raréfient
Une réalité qui a bien changé. "Avant, on avait la paie d’un ingénieur, mais pour le même travail, on a maintenant le salaire d’un Smicard. C’est pour ça que plus personne ne veut le faire." Avec amertume, Thomas décrit une réalité économique qui décourage les nouvelles générations.
"Ils n'ont pas peur de travailler, mais veulent seulement être rémunérés à leur juste valeur. Si tu gagnes 10.000 euros par mois, les 35 heures, tu oublies vite. Moi, les 35 heures, je les fait en deux jours. Je n'ai pas de samedi ni de dimanche. Et à la retraite, si j’ai 800 euros par mois, ce sera beau. Mais je ne me plains pas."
Le métier a évolué, tout comme le paysage de Saint-Isidore. Autrefois rurale et agricole, la Plaine du Var est devenue un pôle urbain en expansion. "Dans les années 1970, on affrétait des trains entiers pour vendre à Rungis, tellement on produisait. Maintenant, on est moins de 1000 agriculteurs dans le département, contre 3800 auparavant. Bientôt, il n’y en aura plus aucun."
Une urbanisation rapide qui lui laisse un goût amer. "J'allais acheter mes cigarettes en tracteur à l'époque. Si je fais ça aujourd'hui, j'irai en prison (rires). Plus sérieusement, on construit sans penser aux conséquences. Des villas sans route pour y accéder, un stade sans vrai parking…"
Des terres qui s'arrachent à prix d'or
Malgré tout, Thomas refuse de céder aux sirènes de la spéculation. "Je loue mes terres agricoles à ma mère pour 3000 euros par an. À côté, un terrain de 10.000 m² se loue 20.000 euros par mois, pour du stockage. Faire pareil ? Moralement, je ne peux pas. Et j'ai espoir que mes enfants reprennent un jour. Même si pour l'instant, ils ne veulent pas."
Thomas porte un profond respect pour le travail de ses prédécesseurs, notamment son père, qu'il n'imagine pas une seule seconde trahir. "Il a tout donné. Quand il nous a transmis la campagne, il a pleuré. Il a souffert pour garder tout ça."
Une affaire qui s'est diversifiée au fil des années, avec une production qui a changé. "Pendant longtemps, on ne produisait que de la blette. Jusqu'à 400 tonnes. On l'exportait en Allemagne ou en Suisse."
Aujourd'hui, Thomas produit de nombreux fruits et légumes (poireaux, brocolis, agrumes, salades, avocats, navets…) qu'il vend directement au sein du cabanon familial, sur le boulevard du Mercantour. "Beaucoup de locaux nous achètent leurs fruits et légumes. On est sur la route, les gens s’arrêtent en passant, en rentrant chez eux ou en partant au ski."
Et même si de son propre aveu, le métier a "beaucoup changé", Thomas Gioanni ne s'imagine pas ailleurs. "Je suis heureux de me réveiller chaque matin, et tant que je garderai ce sourire, je ferai tout pour préserver l'héritage."