5 questions à… - Vous avez déjà pu le lire dans Marianne, Les Jours ou encore Libération : Nicolas Quénel est journaliste, professeur à l'école du journalisme du Nice et spécialiste, notamment, de la guerre de l'information.
1. Comment la Russie essaie-t-elle d'intoxiquer l'opinion ?
La désinformation s'exerce de plein de manières différentes. La Russie propage des rumeurs, des fausses informations, des théories complotistes… Cela n'a rien à voir, par exemple, avec France 24, notre chaîne TV à l'étranger, qui diffuse des contenus sérieux et honnêtes. Avec une vrai indépendance vis-à-vis du pouvoir, ce qui n'est pas le cas pour Russia Today. Cette dernière est vue comme "une arme contre l'Ouest" par le pouvoir russe, alors que nous, nous faisons du service public.
Nous avons, de la part des Russes, des efforts coordonnés pour corrompre et manipuler le débat public au profit d'intérêts stratégiques, c'est la définition de la chose. L'enfumage a toujours existé, aux grandes heures du KGB notamment. C'est lui qui a lancé la 'fake news' sur le virus du sida qui aurait été créé dans un labo américain.
2. Y arrive-t-elle en France ces derniers jours, au coeur de cette guerre ?
Un contre-récit, favorable à Poutine, se fait une place dans notre pays. En partie parce que les Français ont une méfiance grandissante à l'égard des pouvoirs publics et des médias.
Cela étant dit, les éléments de langage de la Russie n'ont pas imprimé chez nous jusqu'à présent. La stratégie du Kremlin fonctionne à la marge, à ce stade il n'y pas d'opération d'influence coordonnée en France. Mais il va falloir être attentifs.
Les internautes qui approuvent l'offensive russe étaient déjà fascinés, pour beaucoup, par la Russie. On retrouve des électeurs des extrêmes, et une partie de la droite. Au final, cette propension à gober la propagande est assez transpartisane.
3. Comment bien s'informer sur le conflit en cours ?
Appliquer toujours les mêmes réflexes que le reste de l'année sur Internet. Il faut se fier aux médias (dits traditionnels): lire les journaux, écouter la radio… Se tourner vers ceux qui emploient réellement des professionnels de l'information, pour trouver des faits vérifiés, recoupés. Si j'avais à citer trois sources pour suivre ce qui arrive en Ukraine : Le Monde, France 24 et le Guardian, parmi d'autres. Et ne jamais oublier d'exercer son esprit critique.
4. On nous parle de "guerre hybride" avec ce conflit : qu'est-ce que c'est ?
C'est un peu "la guerre avant la guerre". Il s'agit de l'étape avant le conflit ouvert, armé. On va retrouver, par exemple, des attaques informatiques, et des stratégies de désinformation. Nous sommes actuellement dans le niveau d'après, mais la guerre de l'info est toujours en cours.
5. Que faire contre ? Suspendre les médias russes en France ?
Difficile de donner une réponse tranchée. Cela pourrait être contre-productif, puisque le Kremlin pourrait appliquer une réciprocité et suspendre en Russie la BBC par exemple. Surtout que Russia Today chez nous, elle fait très peu d'audience (la chaîne a été ciblée par des sanctions françaises et européennes le 1er mars, ndlr).