Au procès des procurations frauduleuses à Marseille, affaire qui avait éclaboussé la droite lors des municipales en 2020, s'est dessiné un système clientéliste de renvois d'ascenseur, à coup de demandes de logement social ou de CV à faire passer.
Le 10 mars 2020, selfie dans un bureau de la mairie des 11e et 12e arrondissements : deux responsables associatifs viennent déposer une série de cartes d'identité pour établir des procurations. "Procuration à fond mon ami": se vante Rémi Matar en envoyant la photo au maire de secteur Les Républicains (LR), Julien Ravier. "Vous êtes des monstres de la procu!!!", lui répond l'ex-député.
"J'avais donné un CV pour ma compagne", alors ce "selfie envoyé au maire c'est pour lui dire qu'il m'oublie pas sur l'emploi", reconnaît sans difficulté à la barre Rémi Matar, président de l'Association Jeunesse 11/12.
Jusqu'à vendredi, 13 personnes dont deux ex-maires de secteur LR, un commandant de police, des fonctionnaires, des militants, un ex-directeur d'Ehpad sont jugés pour avoir mis en place, à des degrés divers, un système de procurations frauduleuses dans le camp de la candidate malheureuse de la droite, Martine Vassal.
L'élection, ultra-serrée, s'était soldée par une victoire d'une coalition de gauche, après un quart de siècle de règne du LR Jean-Claude Gaudin.
En trois jours d'audience, s'est dessiné un "schéma très artisanal et très éloigné du code électoral" selon les mots du président : un maire, Julien Ravier, qui assure n'avoir rien vu et accable son équipe.
Son directeur de campagne Richard Omiros qui aurait mis la pression pour obtenir un maximum de procurations irrégulières. Des secrétaires de mairie qui s'exécutent, un commandant de police qui valide les formulaires hors du cadre légal et, sur le terrain, un directeur d'Ehpad ou des militants qui s'activent pour récolter des pièces d'identité pour établir les précieux sésames menant à des votes.
"Demandes classiques"
Quand le commandant de police, Roland Chervet, écrit à Julien Ravier pour lui demander d'intervenir pour que sa fille soit prise dans une école privée réputée, "faut-il voir une contre-partie, une récompense, un retour d'ascenseur?", s'interroge le président du tribunal correctionnel, Pascal Gand.
"Ce sont des demandes classiques qu'on reçoit tout le temps en mairie de secteur", répond Julien Ravier : demandes de place en crèche, pour un emploi, pour un logement social. "Ils espèrent qu'on puisse faire quelque chose et on fait des courriers."
Au final, ce policier, désormais à la retraite et absent du procès pour dépression, n'obtiendra pas de place dans cette école.
Autre élément souligné par le président : pendant l'enquête, des personnes interrogées qui ont récolté des procurations ont expliqué avoir pensé que "l'obtention de procurations leur permettrait d'avoir plus facilement accès à un HLM" pour eux ou un proche.
Tout cela dessine l'image d'un clientélisme ordinaire qui colle à la peau de Marseille, la grande ville la plus pauvre de France, qui compte 40.000 taudis et encore plus de demandes de logements sociaux en souffrance.
Le calendrier judiciaire de l'automne est à ce titre assez éloquent. Après ce procès, un autre sur une affaire du même type mais visant deux élus de gauche est prévu du 8 au 10 octobre. Et début novembre commencera le procès fleuve de l'effondrement mortel de deux immeubles le 5 novembre 2018 rue d'Aubagne, en plein centre-ville. Un drame qui a jeté une lumière crue sur l'indifférence qui a longtemps prévalu autour du fléau du logement indigne.
"Les politiciens, on les voit pendant les périodes électorales. Sinon, pendant cinq ou six ans on les voit plus", a soupiré à la barre Karim Rebouh, figure associative du 12e arrondissement, lui aussi poursuivi pour avoir fourni des dizaines de pièces d'identité de jeunes de son quartier des Caillols. "Et quand ils voient que des jeunes s'impliquent (et votent, ndlr), on est un peu plus écouté".
Commentez cette actu ! Vous pouvez réagir depuis le bas de page, ou en cliquant sur ce raccourci ›