La Corse, entre ses plages idylliques et un triste record d'homicides : après l'assassinat d’un jeune pompier juste avant Noël, l’île tente de briser cette spirale meurtrière et appelle à un sursaut collectif, loin des armes et du "culte du bandit".
Dès sa création en septembre 2019, le collectif antimafia "A Maffia No, A Vita Iè" (Non à la mafia, oui à la vie) alertait sur une "emprise mafieuse d'une intensité inédite" dans l’histoire de l’île.
Gilles Simeoni, président du conseil exécutif de Corse, plaidait alors pour une "action de fond, politique, économique, sociale et culturelle" afin de contrer la mafia, dénonçant "les dérives d’une société gangrenée par l’argent facile et le trafic de drogue".
Cinq ans plus tard, "la situation est infiniment plus grave", prévient Jean-Toussaint Plasenzotti, porte-parole du collectif antimafia Massimu Susini.
"On sait que des gens ont peur sans même être menacés et que la véritable emprise mafieuse, souterraine et silencieuse, s’impose peu à peu au détriment de la légalité et de la démocratie", estime-t-il, réclamant un durcissement des lois contre le crime organisé ainsi que la création d’une commission antimafia au sein de l’Assemblée de Corse.
Avec "18 homicides et 16 tentatives d’homicides" enregistrés en 2024, l’île se hisse "au premier rang national en la matière" au regard de ses 355.000 habitants – l’équivalent de la ville de Nice –, a récemment rappelé le préfet de Corse, Jérôme Filippini.
S’ajoutent 2.300 destructions ou dégradations de bâtiments privés, un taux de détention d’armes alarmant (350 pour 1.000 habitants contre 150 en moyenne nationale) et la présence de 25 bandes criminelles actives, selon la police.
Au-delà des statistiques, l’assassinat, le 23 décembre, de Pierre-Louis Giorgi, un pompier de 33 ans abattu par balles dans un bar prisé de la jeunesse ajaccienne pour un différend sentimental, a provoqué un véritable électrochoc social.
Si l’auteur des faits s’est rendu à la police le jour de Noël, l’émotion demeure vive. Gilles Simeoni a de nouveau appelé à une "réflexion collective pour mettre fin à cette folie", annonçant pour fin février, avec deux ans de retard sur le calendrier prévu, une session spéciale de l’Assemblée de Corse destinée à définir "les remparts à ériger contre les dérives mafieuses".
"Cette violence n’est pas une fatalité", insiste le préfet Filippini, convaincu que la Corse "possède en elle les ressources nécessaires pour échapper à cette trajectoire. Mais il faut le vouloir et le décider ensemble".
Dans une démarche rare, les plus hautes autorités judiciaires de l’île – la première présidente de la cour d’appel de Bastia, Hélène Davo, et le procureur général Jean-Jacques Fagni – se sont associées aux préfets de Corse-du-Sud et de Haute-Corse pour inviter, fin janvier, Gilles Simeoni et la présidente de l’Assemblée de Corse, Marie-Antoinette Maupertuis, à une "réunion de travail" consacrée à la criminalité organisée, selon des invitations consultées par l’AFP.
Le préfet Filippini a également annoncé son intention de lancer "dans les prochaines semaines une nouvelle opération Déposer les armes".
Le procureur de Bastia, Jean-Philippe Navarre, plaide, lui, pour une "réforme en profondeur des moyens de lutte contre le crime organisé", incluant un élargissement du statut de repenti et la mise en place de cours d’assises spéciales composées uniquement de magistrats.
Mais la réponse ne peut être uniquement policière ou judiciaire.
"Il faut rompre avec le culte des armes, de l’argent facile, du voyou", a insisté fin janvier Marie-Antoinette Maupertuis, lançant un appel "aux mères".
"Notre rôle de mère est le plus puissant qui soit : il nous donne la capacité d’élever des garçons confiants, respectueux, porteurs de rêves bien plus grands qu’une arme ou une voiture de luxe", a-t-elle déclaré, déplorant un "déficit éducatif" qui légitime encore "la loi du plus fort".
"Un chiffre doit nous alerter, nous empêcher de dormir même", a-t-elle poursuivi, soulignant que la Corse affiche le plus faible niveau d’éducation en France, avec "30 % de la population quittant le système scolaire sans diplôme ou avec seulement le brevet des collèges".