Il faut lutter contre la structuration mafieuse des groupes du narcobanditisme, ce que devrait notamment permettre la proposition de loi sur le narcotrafic, plaident le procureur de la République de Marseille, Nicolas Bessone, et le préfet de police des Bouches-du-Rhône, Pierre-Edouard Colliex.
Comment définiriez-vous la situation et la DZ Mafia ?
- Nicolas Bessone : « Ca fait un certain temps que je parle de narcoterrorisme parce que quand vous tuez un jeune ‘jobber’ (jeunes qui viennent dealer à Marseille, ndlr) savoyard trois heures après son arrivée sur un point de deal marseillais, en définitive vous rafalez la cité. La logique c’est : ‘on terrorise tout le monde et notamment la population qui y vit’.
Et quand on voit la ‘conférence de presse’ donnée par la DZ Mafia pour se désolidariser de la mort du chauffeur VTC à Marseille, moi je n’ai jamais vu des organisations criminelles qui faisaient des conférences de presse. Le FLNC, Daesh, oui. Ils le font parce qu’ils ont besoin d’un minimum de consensus sur les quartiers qu’ils dominent ».
- Pierre-Edouard Colliex : « On n’est pas sur une structure pyramidale avec un chef et des gens qui obéissent. On est plutôt sur une solidarité ou des intérêts communs partagés. On est aussi sur une marque, certains se revendiquant par opportunité. Donc nous ne sommes pas sur quelque chose d’extrêmement structuré, on n’est pas pour moi sur de la mafia, mais notre devoir c’est d’éviter que ça se structure et se renforce ».
On observe des tentatives de corruption, ça vous inquiète ?
- Nicolas Bessone : « Effectivement, on constate une augmentation des atteintes à l’Etat. Il faut protéger les agents, faire des formations à la déontologie, mener à bien des enquêtes pour écarter les brebis galeuses. On constate également des menaces sur un certain nombre d’agents. Et des pressions qui sont faites aussi par des plaintes qui se multiplient contre des juges d’instruction ».
Que pensez-vous de la proposition de Gérald Darmanin d’isoler les 100 plus gros narcotrafiquants dans une prison de haute sécurité ?
- Nicolas Bessone : « La tendance naturelle pour éviter les concertations est de les disperser sur divers établissements. On a constaté ici au contraire que les regrouper dans un environnement sécurisé avec zone de brouillage, système antidrone et un suivi strict a été de nature à faire baisser le nombre de narchomicides. Certes ils vont pouvoir peut-être se hurler des éléments de cellule en cellule, mais ce qui est important, c’est surtout qu’ils ne puissent pas communiquer avec l’extérieur ».
La proposition de loi visant à « sortir la France du piège du narcotrafic » va commencer à être examinée mercredi. Qu’en attendez-vous ?
- Nicolas Bessone : « Elle prévoit un certain nombre de dispositions qui vont dans le bon sens, notamment l’extension du statut de collaborateur de justice (repenti, ndlr) élargi aux crimes de sang, que je soutiens de longue date. Il faut dissocier l’aspect moral de l’efficacité : l’intérêt pour l’Etat, c’est de faire en sorte que des personnes qui ont commandité des assassinats basculent du côté de l’Etat et nous permettent, par leur connaissance, d’être au cœur de l’organisation, de la démanteler et de récupérer les avoirs criminels.
Et ça me conduit à la proposition d’une cour d’assises spéciale. Si vous voulez fabriquer du collaborateur de justice, il faut qu’il y ait une prévisibilité de la condamnation ».
- Pierre-Edouard Colliex : « Il faut aussi des suites judiciaires sur les petites peines et des moyens pour la police judiciaire ».
- Nicolas Bessone : « Je suis assez d’accord, prononcer des peines de six mois d’emprisonnement ferme, alors que tout un chacun sait qu’il n’y aura pas un jour de détention, c’est assez illisible pour la population ».
Pour la première fois, on voit des tueurs de plus en plus jeunes, de 14 ans. Comment réagir ?
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- Nicolas Bessone : « Un jeune auteur qui a commis des assassinats dans le cadre de narcotrafic, c’est la détention provisoire. Nous sommes très fermes là-dessus. Il y a ce bruit qui dit que quand on est mineur, on ne va pas en prison. Ce n’est pas vrai. Quand on commet un crime, on va en détention dès 13 ans. Mais on a une difficulté avec la détention provisoire des mineurs de moins de 16 ans, qui ne peut aller au-delà d’un an. Ca vous impose d’aller très vite. On pourrait passer ce délai à deux ans ».
- Pierre-Edouard Colliex : « Un certain nombre de ces mineurs ont une vision complètement détachée par rapport à la gravité de ce qu’ils ont commis. Donc ça pose des problèmes pour la police, mais c’est surtout des problèmes pour la société ».
- Nicolas Bessone : « On ne peut pas être que dans la répression : les jobbers, il faut les sanctionner mais aussi les renvoyer très vite chez eux et les protéger. Parce qu’on le sait, toutes les nuits vous avez des enlèvements, des séquestrations, des violences (sur eux), mais très peu de plaintes. Il faut changer de regard sur le petit dealer, le mettre en état de libérer sa parole, comme ça a été le cas pour les personnes victimes de violences intra-familiales ».



