Au 151 bis, route de Turin, à quelques minutes du centre de Nice, les riverains se soulèvent sans relâche contre le trafic de drogue qui gangrène leur HLM depuis plusieurs années. Une situation qui, au lieu d’être résolue, semble se radicaliser. La police et Côte d'Azur Habitat défendent "un travail de fond".
« Voyez le résultat, même avec la publication de plusieurs enquêtes dans la presse, rien n'a bougé. Au contraire, tout a considérablement empiré !» Les habitants, représentés pour certains par l'anonyme « Collectif Mercantour » sur Twitter, se disent excédés par l’insécurité qui règne dans leur immeuble, géré par le principal bailleur social des Alpes-Maritimes, Côte d'Azur Habitat (CAH).
Depuis janvier et les reportages de CNews, Nice-Matin et Valeurs actuelles, la situation dramatique de ces Niçois n'a, semble-t-il, pas évolué d'un iota.
Après des tours du quartier, effectués plusieurs jours de suite, on constate que les faits dénoncés s’étendent aussi aux bâtiments voisins. Devant le 151 bis, des déchets jonchent le sol. Les résidents qui rejoignent leurs appartements marchent vite, la tête baissée.
Devant la porte vitrée brisée du hall le 4 août, deux jeunes hommes, en survêtement, capuches vissées sur la tête, sont assis sur des chaises de pêche : des "choufs", les guetteurs. Cette semaine, ils sont cinq à "garder" l'entrée.

« Nous sommes terrorisés par les dernières menaces de mort »
"Collectif Mercantour"
Interrogés par Nice-Presse en ce début de mois d’août, les membres du collectif refusent de décliner leur identité : « Cela va être compliqué de témoigner […]. Vous savez, notre groupement est composé de personnes âgées, de familles avec enfants en bas âge… Les représailles nous obligent à garder le silence ». Le collectif décrit une insécurité devenue insupportable.
Entre le début de notre reportage et sa publication ce 11 août, ces habitants ont dû restreindre l'accès à leur compte Twitter, celui sur lequel ils dénonçaient les brimades subies et l'activité des trafiquants de drogue.
Jusque sur les murs de leur propre bâtiment, les menaces s'étalent au vu et au su de tous :

Loi du silence
Un habitat, sous couvert d'anonymat, nous explique la gradation des intimidations : "si vous vous plaignez, si vous leur dites de partir ou que vous dénoncez leurs agissements, ils vont commencer par détruire votre boîte aux lettres. Ensuite, ils vont taguer votre porte ou y étaler leurs excréments. Ensuite, viennent les menaces physiques".
Une vie avec la peur au ventre pour ces Niçois, reclus dans leurs appartements.
L'ensemble des lieux de vie "est dans un état lamentable", témoin de l'irrespirable pression exercée sur les résidents.

Ces derniers postent sur les réseaux sociaux les tags qui jonchent les parois des parties communes, anti-police, antisémites ou faisant l'apologie du nazisme et du terrorisme. "Des clichés anciens qui ne traduisent pas la réalité actuelle de la résidence" dément Côte d'Azur Habitat (voir encadré ci-bas).
La présence de guetteurs interdisant l'accès de l'immeuble a toutefois été constatée par Nice-Presse à plusieurs reprises ces derniers jours. "Choufs" qui nous ont d'ailleurs empêché d'aller constater par nous-mêmes la présence, ou non, de ces fameux tags haineux, à deux reprises (la semaine dernière, et celle-ci).


De même, les tarifs des stupéfiants vendus ici sont inscrits au marqueur sur les portes : cocaïne, shit, cannabis…
L'état d'esprit des résidents a été lu en conseil municipal en mars dernier par l’opposition Rassemblement national, qui décrit à cette occasion « des tags non nettoyés depuis des mois, voire des années, des véhicules désossés et abandonnées, encombrants et détritus polluant les étages ». Parmi leurs griefs : "l’inaction" de la municipalité et du bailleur social : « des signalements et plaintes ont été déposés mais Côte d’Azur Habitat et les élus de Nice s’en fichent totalement » peut-on lire dans le procès verbal du conseil.
Une situation au point mort ?
Philippe Vardon, chef de file des élus RN, s’exprime sur la situation pour Nice-Presse : « quelle amélioration observe-t-on depuis notre prise de parole au conseil municipal entre mars et ce début août 2021 ? On nous parle d’une nouvelle politique plus sévère chez Côte d’Azur Habitat, mais qu’a-t-elle changé ?».
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"Les trafiquants pourrissent toujours la vie des habitants. Ces derniers sont dans une situation d’abandon total"
Philippe Vardon, élu RN
"La situation sanitaire, les cafards, l'hygiène… tout cela est également préoccupant, poursuit-il. Ces gens-là vivent l'enfer."
Interrogé à ce sujet, Patrick Allemand, ancien élu socialiste au conseil municipal, "découvre" que les graves problèmes recensés au 222, route de Turin existent également au 151 bis. Sauf que dans le premier immeuble, les trafics auraient été démantelés… ce qui n'est pas le cas du tout au second. « C’est quelque chose que je dénonce. […] Je vais saisir officiellement le président de Côte d’Azur Habitat » promet-il.
"Il faut absolument remettre de la police au cœur de ces cités. Et refaire de l’ilotage : s’il y a des ilotiers qui passent dans les cours de cités, les dealers seront gênés dans leur trafic. Cela sera plus efficace qu'une seule action médiatisée qui ne change rien dans la durée"
Proposition de Patrick Allemand
De "petites améliorations" d'après la police
"Pour nous, c’est un secteur sensible, auquel on accorde une attention toute particulière" assure auprès de Nice-Presse la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP).
"Nous avons des interventions quotidiennes. Nous relevons des infractions de manière régulière. Des amendes forfaitaires concernant les stupéfiants et les guetteurs sont dressées" développe-t-elle.
Du côté de la police, c'est sûr, la situation cauchemardesque du 151 bus est "prise vraiment à bras-le-corps". Tout en reconnaissant que la lutte contre les trafics, "c’est un travail de longue haleine. Il y a d’une part les patrouilles sur le terrain, et parallèlement, de l'enquête. C’est un travail de fond, beaucoup plus discret, donc beaucoup plus efficace dans la force de frappe. Une fois que la procédure est suffisamment montée et que les infractions sont caractérisées, il y a une opération qui s’organise."
Pour quels changements jusqu'à présent ? "On travaille à la résolution du problème, tous les jours on observe de petites améliorations. Notre but principal est d’occuper le terrain et de fédérer nos troupes sur les quartiers sensibles."
Amel Benrezzak, Clément Avarguès
Les réponses de Côte d'Azur Habitat
Interrogée sur les faits dénoncés par le "Collectif Mercantour", la direction du bailleur social a tenu a apporter plusieurs précisions.
Pour elle, les photos chocs publiées sur les réseaux sociaux de l'immeuble "sont anciennes, toujours les mêmes et ne traduisent pas la réalité de l'état de la résidence". Une "réponse fausse et puérile", balaie le collectif, qui se dit prêt à "se plier à une expertise judiciaire des photos prises" afin de prouver leur véracité, et les dates de prises de vue.
Même si la direction évoque une situation alarmante "depuis trois ans". En 2016, la presse en faisait déjà état au 151 bis.
D'autre part, ces habitants auraient été conviés à un rendez-vous pour échanger sur la question, proposition qui serait restée lettre morte.
CAH rappelle également qu'il n'est pas compétent en matière de lutte contre les trafics, mais que des signalements réguliers sont envoyés aux forces de l'ordre. Au niveau disciplinaire, "à ce jour, 67 procédures sont en cours pour nuisances".
Enfin, un "référent tranquillité", chargé de "la lutte contre les incivilités" va prendre son poste sur place dans les prochains jours, nous a-t-on annoncé.
Un commentaire
La brigade des stups s'occupe de quoi au juste ?