❝ Le grand invité Nice-Presse - Nice-Capitale
Après de nombreux mois à l’arrêt à cause de la crise sanitaire, l’Opéra de Nice fera sa rentrée le 11 septembre prochain. Bertrand Rossi, à la tête de l’établissement depuis fin 2019 -- et parrain de notre journal --, évoque avec passion sa volonté de renouveau et d’éclectisme. Sans rien cacher des profondes réformes entreprises dans une institution un temps laissée à vau-l'eau.
- Propos recueillis par Noémie Meffre et Clément Avarguès
Réorganisation
NICE-PRESSE : Vous avez été nommé à la tête de notre Opéra avec un ordre de mission clair : y remettre de l'ordre. Comment vous y prenez-vous ?
Bertrand Rossi : "J'ai réalisé un vaste état des lieux de la situation en arrivant, qui m'a permis de découvrir une maison très motivée. Mais sa gestion a été très compliquée pendant des années. Les directeurs ne restaient que trois ans et les problèmes persistaient.
Nous avions également besoin de sang neuf, raison pour laquelle un nouvel organigramme était nécessaire. Huit décisionnaires sur dix ont été remplacés. Certains postes dont on pouvait se passer ont été supprimés, comme ce fut le cas pour celui du directeur de la Diacosmie (le centre de production et de répétition, NDLR).
"L'Opéra renaît de ses cendres, il lui faudra peut-être huit ou dix ans pour retrouver une vitesse de croisière"
Bertrand Rossi, directeur général
Raison pour laquelle mon contrat est à durée indéterminée : nous avons besoin de vision sur le futur et de stabilité."

Comment définiriez-vous votre "patte"?
"Dans cette entreprise, moyenne, de 320 salariés, je revendique un management moderne et bienveillant"
Bertrand Rossi, directeur général
J'ai une envie de réformes, et d'échanges. La communication était mauvaise pendant des années. De trop nombreux métiers ne se parlaient pas du tout, cela générait des frustrations. Quand je suis arrivé, le personnel m’a dit 'il faut remettre de l’ordre'. Il y avait beaucoup de chacun pour soi. Moi, ce que je veux à présent, c'est un opéra généreux où l’on travaille tous ensemble.
Il faut donc remettre du sens et rappeler la raison pour laquelle nous sommes là."
Dans quelle ambiance ?
"On ne va pas se mentir, il y a eu des conflits dans le passé, liés à l'ancienne gouvernance. Aujourd'hui, c'est différent, il y a une réelle envie. On a la chance d’être dans une structure où il y a tout, c’est très rare. Nous avons un orchestre, un chœur, un ballet, des ateliers décors et costumes, de la technique et de l’administratif.
Depuis ma prise de fonction, je ne peux pas dire que j’ai transformé́ les choses, mais j’essaie au quotidien de créer davantage de communication. Pour cela, j’ai eu envie de réunir un peu tout le monde notamment autour d’un projet artistique fort, « Réunion de famille » prévu le 11 septembre prochain."
Ambitions
Quelle feuille de route avez-vous concrètement ?
« Plusieurs missions sont menées conjointement. Premièrement, il s’agit d’augmenter la fréquentation de l’établissement. Lors de la saison 2018-2019, il y a eu 55.000 spectateurs, tout confondu. C'est-à-dire pour les ballets, les concerts, ou encore les opéras… Ce n’est pas assez.
Je pense que si certains ne viennent jamais, ce n’est pas parce qu’ils n’aiment pas, mais parce qu’ils ne connaissent pas. »
Vous avez pour priorité d'attirer de nouveaux publics…
"L'opéra devrait être ouvert à tous. À tous les âges, à toutes les classes sociales mais également à tous les budgets. C’est vraiment la politique que je souhaite mener à Nice. Dans la culture en général, on a du mal à capter les jeunes actifs. Ils commencent un boulot et fondent une famille. Souvent ils ont d'autres choses à faire que d’aller voir des spectacles.
Face à cela, j’ai vraiment cette volonté́ de dépoussiérer l’Opéra. Je suis tombé dedans quand j’étais petit, c’est mon dada. Donc cela me tient particulièrement à cœur. Souvent on a des idées clichées, on imagine des spectacles avec des décors en carton-pâte. Ce n’est pas ce que j’ai envie de montrer. Je pense que c’est un art qui peut être destiné à un public d’aujourd’hui. Il est nécessaire de renouveler le genre avec un répertoire différent."

Les femmes seront également mises à l’honneur pour cette programmation.
"Je les aime beaucoup en tant qu’artistes. Je pense qu’elles peuvent avoir une interprétation et une vision différente. C’est d’ailleurs pour cela que l’on retrouvera de nombreuses femmes chefs, mais également sur la mise en scène dans cette même saison.
Par exemple, pour La dame blanche, c’est Pauline Bureau associée à Valerie Nègre, qui s’occupent de cela. Luciana Childs, est également metteur en scène pour Akhnaten. Je trouve également important qu’elles dirigent un orchestre mixte. Leur rapport est diffèrent et je trouve cela très positif."
Notre opéra ne manque t-il pas également de notoriété ?
"Le critique du journal Le Monde n'est pas venu ici pendant vingt ans, on peut dire que oui ! Nous devons attirer la presse à Nice, il faut également une meilleure visibilité au niveau international. Je tiens beaucoup à cela.
Pour y arriver, il faut déjà hausser le niveau des productions avec des metteurs en scène qui viennent d’horizons différents. Cela va emmener un nouveau type de public… mais également le chatouiller."
Pensez-vous avoir les moyens de ces ambitions ?
"Sans aucun doute ! La culture est vraiment le premier choix de Christian Estrosi pour son mandat actuel. Il l’a placé en haut de la pyramide. J’ai vraiment la sensation que toutes les planètes s’alignent."
Comment allez-vous inscrire l'opéra dans la course pour le label "Nice, capitale européenne de la culture"?
"Tout ce que je viens de développer va y contribuer, tout comme le travail que nous menons avec l'exceptionnelle Muriel Mayette-Holtz, la directrice du Théâtre national de Nice (et marraine de notre journal, NDLR).
C’est une chance incroyable car nous travaillons très bien ensemble. On va d’ailleurs mutualiser les ateliers de construction à partir de septembre. Certaines pièces seront également accueillies à l’Opéra.
Pour moi, c’est vraiment une aubaine car cela va permettre un croisement des publics."
Nouveautés
À ce propos, comment attirer de nouveaux spectateurs, parfois néophytes, ici ?
"Parfois, on entend « ces spectacles ne sont pas pour moi, c’est long » -- et c'est parfois le cas, d'ailleurs ! (rires).
Nous allons donc proposer des Afterwork : des concerts courts d’une heure dans des endroits atypiques de la ville, comme la terrasse de l'hôtel Aston. Ils pourront déguster du vin ou un cocktail pendant que les artistes se produisent. Ces derniers auront carte blanche. On pourra trouver des musiciens en train de jouer du jazz ou un membre des chœurs chanter de la variété́ française.
Des dîners sur scène se dérouleront également le 24 et 25 février 2022. C’est ma grande fierté. Ce ne sont pas des dîners mondains comme on pourrait l’imaginer. Ils permettent d’intégrer le public dans la machine théâtrale durant le temps d’un repas. Ils assistent à un vrai show avec des éclairages. Le ballet, l’orchestre et le chœur donneront également une représentation durant ce moment gastronomique."
On a entendu parler d'un escape game !
"Effectivement. Il se déroulera tout au long de l’année, d’octobre jusqu’en mai. Il s’agit d’un jeu de piste dans lequel il faut répondre aux énigmes pour éviter de rester enfermé. Des animateurs, dans le rôle du fantôme de l’Opéra, feront tout pour induire en erreur les participants. J’espère que ça permettra de faire découvrir les lieux à des personnes qui ne les connaissaient pas du tout."
Et pour les très-très jeunes ?
"Nous allons lancer "Viens avec ton doudou" ou "Viens avec ton smartphone", des opérations qui permettront aux enfants et aux ados de passer une heure sur le plateau de l’opéra avec un chanteur, un concertiste, ou un danseur étoile pour découvrir leur métier. Cela pourra peut-être créer des vocations. C’est une belle expérience pour les plus jeunes. »
Notre partenariat avec l’Université permettra également d'ouvrir les répétitions aux jeunes qui voudront venir réviser ici, et inversement, d'envoyer des musiciens jouer à la Bibliothèque universitaire. Je considère que si ces jeunes n’aiment pas ce style de musique, c’est parce qu’ils n’y ont pas été habitués. C’est donc un moyen de transmission essentiel."
Programmation 2021-22
"Avant de débuter la saison lyrique, prévue en novembre, nous accueillerons le Festival d’Opérette et de comédie musicale. Il a été repris en régie cette année, avec notamment le report du concert Andalousie de Francis Lopez.
Un peu plus tard, nous aurons également La Veuve joyeuse de Franz Lehár qui est pour moi l’une des plus belles opérettes du répertoire. Je l’ai confiné à un jeune metteur en scène qui s’appelle Benoît Bénichou. Il est extrêmement audacieux, il proposera une version qui dépoussière ce genre parfois considéré comme un peu d’autrefois.
Nous proposerons Akhnaten de Philip Glass, le 12 novembre. Il s’agira de l’événement de la grande rentrée lyrique à l’Opéra de Nice. La Dame Blanche de François-Adrien Boieldieu est également prévue les 21, 23 et 25 janvier. C’est une reprise de la saison dernière. J’avais mis en place une version allégée puisque nous avions réalisé une captation, compte-tenu de la situation sanitaire. Cette fois-ci, nous proposerons l’œuvre dans son intégralité. Il s’agit d’une coproduction avec l’Opéra-Comique de Paris. Je voulais réintégrer ce genre du XIXème siècle. Il permet une alternance entre le chant et le texte parlé.
Concernant la représentation Le voyage dans la lune de Jacques Offenbach prévue les 13, 15 et 17 février, je suis tout simplement fan de ce compositeur. Il s’agit ici d’une oeuvre féérique, qui nous emmènera dans les étoiles. Ici, nous avons une coproduction avec dix-sept opéras français avec lesquels je voulais m’associer."