Alphonse, un Ivoirien installé à Marseille, a décidé de porter plainte contre son marchand de sommeil malgré sa situation irrégulière. Son combat, mené depuis plusieurs années, pourrait aboutir à une régularisation grâce à la dernière loi sur l’immigration, un cas encore exceptionnel.
Les fils électriques pendants sur les murs humides, les cafards, les rats et le mince filet d’eau partagé entre locataires appartiennent désormais au passé. Aujourd’hui employé en CDI dans un restaurant, Alphonse affirme marcher la « tête haute ».
En novembre 2024, celui qui évitait autrefois les regards a décidé de signaler à la police les conditions déplorables de son logement, situé à deux pas du Vieux-Port de Marseille, où il vivait depuis près de trois ans. Le propriétaire, visé par une vaste enquête pour « soumission de personnes vulnérables à des conditions d’hébergement indignes », a été placé en détention provisoire. Alphonse vit désormais dans un studio digne.
Arrivé en France en janvier 2022 sans connaissance ni soutien, Alphonse avait accepté de payer plusieurs centaines d’euros pour un logement insalubre, sans bail ni reçu, à raison de 300 euros par mois. Malgré les toilettes inutilisables, les trajets quotidiens pour se laver et les risques constants, il jugeait sa situation « toujours mieux que la rue ».
L’évacuation forcée de son immeuble, après un arrêté municipal pour péril imminent, l’a finalement poussé à dénoncer ces conditions avec l’aide d’associations locales.
Une loi censée protéger les victimes mais difficile à appliquer
Les personnes sans papiers hésitent souvent à déposer plainte par peur d’être arrêtées ou par loyauté envers leur logeur, explique Cyrille Guiraudou, membre d’une association d’aide au logement. Pour rassurer ces victimes, la loi de janvier 2024, issue d’un amendement du sénateur communiste Ian Brossat, prévoit une carte de séjour temporaire pour les étrangers qui portent plainte contre des marchands de sommeil, rappelle l’avocate d’Alphonse, Clara Merienne.
Cependant, à Marseille comme ailleurs, la mise en œuvre reste laborieuse. Au lieu d’un véritable titre de séjour, la préfecture n’a délivré que de fragiles récépissés, souvent obtenus après recours devant le tribunal administratif. D’après les associations, la loi reste largement inappliquée malgré la multiplication des cas.
En Seine-Saint-Denis, seulement quinze personnes auraient obtenu un titre de séjour selon la préfecture. Aucune donnée nationale n’a été communiquée par la Direction générale des étrangers en France, et la préfecture des Bouches-du-Rhône n’a pas répondu aux sollicitations.
Les étrangers sans papiers demeurent des proies faciles pour les marchands de sommeil : « si les locataires se rebellent, des gros bras sont envoyés », confie une source proche du dossier. « Il règne une atmosphère de terreur, un système quasi mafieux avec un sentiment d’impunité », ajoute-t-elle.
« La loi devait réduire le pouvoir de nuisance des marchands de sommeil, mais sur le terrain, rien ne change vraiment. Les récépissés que nous avons obtenus, nous les avons arrachés », déplore Margot Bonis, juriste du Réseau hospitalité à Marseille. Entre les préfectures mal formées, les policiers réticents à enregistrer les plaintes et la lenteur administrative, les obstacles demeurent nombreux.
Le ministère de l’Intérieur affirme pourtant avoir lancé des formations dans toutes les préfectures pour appliquer la nouvelle législation. Mais selon Margot Bonis, « l’avantage des migrants, pour les marchands de sommeil comme pour l’État, c’est qu’ils ne se plaignent pas et ne connaissent pas leurs droits ».
- Ce qu’il faut retenir : Alphonse, sans papiers, a osé porter plainte contre son marchand de sommeil à Marseille. Malgré une loi censée protéger les victimes, son application reste très inégale. Les associations dénoncent des blocages administratifs et une impunité persistante des logeurs indélicats.
Avec AFP



