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Une enquête interne sur de prétendus comportements déplacés a été ouverte à l'École du journalisme depuis dix jours. Les témoignages, qui se succèdent, secouent, depuis, l'établissement privé.
- MISES À JOUR ► Réaction : « Il faut lancer une inspection générale de l’EDJ Nice » appelle l’adjoint au maire chargé de la Jeunesse, Graig Monetti
- Et depuis… EDJ Nice : le responsable de l’enquête interne lui-même mis en cause pour "comportement déplacé"
L'épreuve la plus rude que vit l'EDJ Nice en trente ans d'existence aura été lancée… avec une plaisanterie. Jeudi 26 mai, en cours, un étudiant fait une vanne sur l'un de ses professeurs devant ses camarades. Un formateur entend la blague et la prend suffisamment au sérieux pour creuser l'histoire. Assez pour qu'une enquête interne soit lancée dans les heures qui suivent.
Parmi une variété de témoignages, une étudiante affirme avoir été mise mal à l'aise par une conversation privée entretenue avec un collaborateur de l'école sur Instagram. À nos confrères d'Actu Nice, elle assure l'avoir déjà fait remonter à l'administration "fin 2020", sans effet.
L'école dénonce "un mensonge" et affirme à Nice-Presse n'avoir "aucun signalement" sur des comportements inappropriés.
"Qu'il crève"
Toujours est-il que l'enquête interne est lancée.
Anciens comme actuels étudiants sont entendus, lors d'entretiens, par téléphone ou par SMS. Sauf que, d'après nos informations, elle ne respecte pas les principes clairement édictés pour ce type de dispositif par le ministère du Travail.
Lequel impose de choisir pour le conduire un individu qui a le moins de liens possibles avec le ou les mis en cause. Or, a été désigné un responsable — celui qui contacte et échange avec les témoins — qui travaillait main dans la main avec les personnalités au cœur des investigations. Il entretenait même avec au moins l'une d'entre elles une relation d'étroite proximité.
Ensuite, il faut "faire bénéficier l’ensemble des personnes impliquées d’une écoute impartiale et d’un traitement équitable". Sauf que, d'après des sources variées et concordantes qui ont transmis à notre rédaction des enregistrements de plusieurs échanges émanant de cette procédure, les questions posées sont pour le moins orientées.
Auprès de plusieurs étudiant-es et dans le cadre de ces recherches, il qualifie plusieurs formateurs incriminés de "prédateur", de "connard" ou encore de "bâtard".
Ce même encadrant chargé des vérifications indique, dans des échanges dont Nice-Presse a obtenu une copie, avoir connaissance de graves risques psycho-sociaux encourus par des salariés mis en cause, mentionnant avec ironie devant un-e étudiant-e les intentions suicidaires d'un encadrant.
"Qu'il crève" note-t-il également.
"Nous enquêtons sans parti pris" assure l'établissement, questionné sur les insultes proférées.
Les informations recueillies sont également sensées être confidentielles, notamment pour protéger les sources, mais aussi la présomption d'innocence. Des éléments d'accusation ont pourtant été communiqués à des ex ou actuels élèves, tout en indiquant le nom de leurs potentiels auteurs.
"Tout le monde sait, tout le monde se tait"
Des étudiants qui ont quitté l'école depuis plus d'un an ont été contactés. Mais l'actuel "référent chargé de la prévention" du Bureau des élèves (BDE), formé notamment à l'écoute des signalements sur les conduites inappropriées, n'avait toujours pas été approché par l'enquête interne vendredi 3 juin, ni questionné sur quoi que ce soit… plus d'une semaine après son ouverture.
Au cours d'une conversation que nous avons pu consulter, le responsable de la procédure note, à propos de l'un des professeurs : "c'est comme PPDA (Patrick Poivre d'Arvor, ndlr), tout le monde sait, tout le monde se tait. Toujours le même schéma". Mais qui avait connaissance de quoi ? L'EDJ Nice, indique, elle, n'avoir "jamais rien su avant le 26 mai".
L'équipe pédagogique est informée de la procédure le 3 juin par un message sur Whatsapp, après la publication de deux articles dans la presse. Tous les formateurs mis en cause n'ont toujours pas été amenés, à cette date, à s'expliquer sur les éléments recueillis.
"Il m'a fait asseoir sur ses genoux"
L'un des encadrants de l'EDJ Nice, jouissant de responsabilités notables, a, à plusieurs reprises, mentionné devant des sources diverses et concordantes sa préoccupation de cacher sa relation avec telle ou telle étudiante à la direction, exprimant sa crainte d'être "mort" ou "viré".
Ce collaborateur, comme d'autres, était régulièrement présent aux différentes soirées organisées par les étudiants et leur BDE — dont tous les membres contactés n'ont pas répondu à Nice-Presse. Il "n'avait pas un comportement approprié" rapportent des sources diverses et concordantes.
Il se serait permis "des bisous dans le cou, sur la bouche sans consentement. Des mains sur les hanches, sur les fesses,…"
Lors d'une soirée, à la fin du mois de mars dernier, son attitude perturbe fortement l'un-e des étudiant-es.
L'air alcoolisé, "il m'a pris-e dans ses bras, m'a embrassé-e. Il s'est assis derrière moi, m'a attiré vers lui pour me faire asseoir sur ses genoux" nous est-il rapporté.
L'encadrant a quitté l'entreprise, à l'amiable, trois semaines avant le déclenchement de l'enquête interne, avec une rupture conventionnelle de son contrat. La raison invoquée est sa volonté de "partir faire le tour du monde".
Sollicité par nos soins vendredi 3 juin, il n'a pas répondu.
"Nous n’avons jamais eu connaissance du moindre agissement déplacé de sa part" promet l'école.
Ambiance "toxique, malsaine"
Les contrats de travail proscrivent en principe toute relation extra-universitaire entre les collaborateurs et les étudiant-es. Une disposition pas toujours appliquée, et avec un degré de discrétion très inégal selon les formateurs. Rien n'indique cependant, pour l'heure, que la direction était clairement informée que des professeurs couchaient avec certaines de leurs étudiantes.
Les rumeurs vont bon train à ce sujet depuis des années, contribuant à "une ambiance toxique, malsaine" dans l'établissement, d'après le ressenti d'une variété de jeunes que nous avons pu interviewer. Toutes et tous réclamant "un strict anonymat", certains estimant "risquer gros" en échangeant avec la presse.
Facebook à tous les étages
L'école base une grande partie de son fonctionnement sur les réseaux sociaux. L'appartenance à un groupe Facebook est quasi obligatoire pour avoir connaissance des sujets de devoirs ou des changements d'emploi du temps. Les membres de la direction et les formateurs contactent les jeunes directement via les applications Messenger et Instagram, de tôt le matin jusqu'à des heures avancées le soir, la nuit.
La crise sanitaire et les confinements ont accentué ce basculement numérique. Certains élèves témoignent aujourd'hui d'une gêne au sujet du brouillage des frontières dans les rapports entretenus avec eux par leurs encadrants.
De même, divers compliments formulés par les collaborateurs à des étudiant-es sur ces plateformes peuvent-ils être considérés comme des agissements sanctionnables ? La procédure en cours devrait rendre ses conclusions au mitan du mois de juin.
La justice n'a pas, pour l'heure, été avisée des éléments rapportés ci-contre.
► Vous avez un témoignage à communiquer à nos journalistes ? Parlons-nous : la protection de nos sources est une priorité. Cette adresse email vous est ouverte : infos@nicepresse.com
Prévention
L'EDJ Nice a désigné un professeur principal, "disponible 5 jours sur 7 pour ses étudiants". Lesquels peuvent remplir un questionnaire anonyme d’évaluation des enseignements deux fois dans l’année. Une séquence de formation et de sensibilisation, notamment contre le harcèlement sexuel, est proposée en début de cursus, entre autres outils.
Note 1 : Nice-Presse et l'EDJ Nice étaient en partenariat depuis avril 2021. Ce samedi 4 juin, nous avons décidé d'y mettre fin. Avant cette date, l'école n'a interféré d'aucune manière dans notre travail journalistique.
Note 2 : L'auteur de ces lignes a été diplômé, en 2019, à l'EDJ Nice.
Note 3 : une première version de cet article mentionnait un "référent anti-harcèlement", mais la terminologie plus exacte est "référent chargé de la prévention", nous a-t-on indiqué. Cela dit, il doit bien veiller à ce que l'intégrité physique et morale de ses camarades ne soit pas menacée, dans l'école mais aussi dans les soirées étudiantes.