Comédienne et metteur en scène, première femme à avoir dirigé la Comédie-Française, ancienne directrice de la Villa Médicis à Rome… avec un parcours exceptionnel, Muriel Mayette-Holtz a pris la direction du Théâtre national de Nice en 2019, juste avant la crise sanitaire.
Alors que la nouvelle saison commence et que le TNN vit de profonds changements, elle est notre invitée culture du dimanche. "MMH" est également la marraine de notre journal.
Quel été a passé notre Théâtre national ?
Muriel Mayette-Holtz : Dans le cadre de Mon été à Nice, nous avons pu proposer une deuxième année de suite des représentations hors-les-murs avec les "Contes d'apéro". Ce sont des moments très enrichissants.
Gratuites et proposées au plus près des gens, elles attirent de nouveaux publics, les jeunes notamment. Il n'y a plus ce côté impressionnant du théâtre, ces grands bâtiments, ces dorures… J'aime beaucoup cette simplicité, ce naturel.
D'une année sur l'autre, la fréquentation a bien augmenté, avec des spectateurs d'horizons très différents. C'est quelque chose de très, très positif pour nous.
La plupart des gens qui découvrent nos spectacles en extérieur se disent "Ah mais finalement c’est plutôt bien !" (elle sourit). C’est un peu une école du spectateur que l’on met sur pied.
Comme rendez-vous, nous travaillons sur le "procès" de grands personnages : Antigone, Lady Macbeth… Nous allons faire celui du Père Noël ou du Grand méchant loup.
Mon été à Nice a créé une certaine appétence, comme le notait l'adjoint à la Culture Robert Roux dans nos colonnes. Comment la faire perdurer au-delà de cette période ?
Les choses sont plus compliquées que cela. À Nice, la culture connaît une rivalité avec la mer, le soleil, les activités en montagne… Ailleurs, dans le nord, les choses sont différentes.
L'été, quand les choses sont proposées en extérieur gratuitement, vous attirez du monde, évidemment. Après, il faut fidéliser des publics et s'interroger sur "l'utilité" de la culture. Ce n'est pas forcément du divertissement, contrairement à ce que l'on peut penser.
Ce que nous proposons n’est pas uniquement du plaisir. Nous vivons une période très traumatisante. Les gens veulent s’amuser et rire. Je pense que l’on a aussi beaucoup besoin de pleurer, d’exprimer et de sortir de notre cœur ce qui nous inquiète. Mais également de regarder, puisque les artistes sont des visionnaires, ce qui a changé dans nos vies.
Comment s’est préparée cette saison 2021-2022 ?
Nous travaillons depuis, évidemment, plusieurs mois. En cette rentrée, le "pass sanitaire" rend les choses simples concernant la distanciation, mais le contexte soulève quelques inquiétudes concernant la fréquentation des salles.
On se demande parfois si la culture n'intéresse qu'1% de la population. Nous avons été parmi les premiers fermés, et les derniers rouverts. On se sent "non essentiels" avec le budget qui nous est généralement alloué, exception faite de Nice. On oublie que la culture est fondamentale, par les émotions et le bonheur qu'elle peut transmettre. La France risque de perdre son rayonnement international à ce niveau, on le voit en ce moment plus que jamais.
Quelles nouveautés allez-vous proposer ?
Il y aura une fois par mois, le lundi, des cours d’oralité gratuits (perfectionnement de la prise de parole et de la maîtrise du langage, NDLR). Le rendez-vous Conversation intime avec Catherine Ceylac sera proposé. Nous invitons une grande personnalité du théâtre ou du cinéma : les participants passent un long moment avec elle.
Carole Bouquet ou encore Jacques Weber ont déjà été reçus. Cette fois-ci, nous allons démarrer avec Nicolas Bedos.
Nous allons participer à un projet qui est merveilleux. Il s’agit de "Moteur" : pendant trois minutes, des jeunes de la France entière filment sur leur smartphone une personne qui les inspire, comme par exemple un grand-père, un voisin, ou un petit frère. C’est très positif.
En lien avec cela, dès la Toussaint, nous proposerons "Moteur en scène" avec Laura Tenoudji. Il s’agit d’un rendez-vous théâtral où les participants présenteront une personne de leur choix. C’est une rencontre inter-générationnelle qui aura lieu une fois par mois.
Un projet pédagogique sera mené, en lien avec le rectorat…
Lorsque je suis arrivée en 2019, j’ai impulsé le projet "Lettre à Nour" avec l’islamologue Rachid Benzine. On faisait écrire à des jeunes, dans tous les lycées, une lettre imaginaire autour du thème "Daesh". La pandémie a compliqué les choses.
Nous avons aussi fait "Lettre à mon père" avec Éric Fottorino. Au total, 700 collégiens et lycéens de l’Académie de Nice ont réalisé un marathon des lettres. C’était bouleversant.
Cette année, ce sera "Lettre à mon amour" avec le romancier Christophe Ono-dit-Biot. Le nombre de participants augmente, c'est très encourageant.
Bertrand Rossi nous a parlé de projets avec l’Opéra ?
Avec Bertrand Rossi, nous sommes en train de construire un avenir commun puisque nous allons partager nos ateliers de construction. Cela permettra d’avoir une certaine fluidité de l’un à l’autre.
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À l’occasion de notre période hors les murs, nous allons proposer du théâtre sur la plateau de l’Opéra. Nous ferons le contraire lorsque nous aurons à nouveau une grande salle.
Concernant les salles, avec le démolition de l'actuel TNN, comment s'organisera cette saison ?
Nous sommes au TNN jusqu’en décembre. Ensuite, nous allons nous promener, et notamment en profiter pour aller au Théâtre Lino Ventura à l’Ariane.
Il y aura des spectacles magnifiques et ambitieux comme, par exemple, Le voyage de Gulliver en février. Nous irons à Francis-Gag, à l’Opéra… Le maire de Nice, Christian Estrosi, a engagé toute une commande pour que nous puissions avoir un théâtre éphémère au printemps.
Nous aurons bientôt le Théâtre des Franciscains. C'est une chance formidable d'ouvrir de nouveaux espaces, pour une grande variété de disciplines.
Comment définiriez-vous votre "patte" ?
J’ai passé trente ans de ma vie à la Comédie Française. Je suis une femme de troupe. J’en ai donc tout de suite mise une sur pied au TNN. Ils sont six comédiens, avec des artistes associés.
Certaines choses me tiennent à coeur : nous allons mener un projet autour de l’Europe de la Méditerranée. Je souhaite que le TNN soit la référence de ce grand répertoire autour de la France, l’Italie, la Grèce et l’Espagne.
Nice se porte candidate pour devenir Capitale européenne de la culture en 2028. Comment le théâtre s’inscrit-il dans ce formidable défi ?
Il y a nouveaux directeurs un peu partout dans nos institutions en ce moment. Avec un véritable souffle, entre Bertrand Rossi à l’Opéra, Hélène Guenin au MAMAC, Claudine Grammont au musée Matisse, Sylvain Lizon à la Villa Arson… On a tous très envie d’être ensemble, pour trouver de la "porosité" entre nos différents solfèges. C’est une chance pour Nice.