❝ L’invitée du dimanche — La journaliste indépendante Hélène Constanty, à lire notamment dans Mediapart, et Thierry Chavant, spécialiste de la BD d'enquête, livrent un récit passionnant des affaires Pastor, du nom de cette femme d'affaires monégasque assassinée à Nice il y a sept ans, et Rybolovlev, un oligarque russe aussi puissant que controversé. Dressant en creux un portrait décapant de Monaco, ce mystérieux "État-confetti" où un habitant sur trois est millionaire.

NICE-PRESSE : L'affaire Pastor, c'est le choc de personnages issus de mondes parallèles qui ne devraient, normalement, jamais se croiser…
Hélène Constanty : C'est une affaire complètement improbable, hors-normes. C'est en cela qu'elle est si fascinante. Vous avez un assassinat digne des frères Cohen, avec des tueurs amateurs qui laissent des traces partout, des liens entre la haute société monégasque et les quartiers Nord de Marseille…
Ce que je trouve intéressant avec la Côte d'Azur, et je n'y vis que depuis quelques années, c'est le pouvoir d'attraction à la fois des grandes fortunes, mais aussi des petits et grands voyous. Il y a cette fascination d'une vie facile, au soleil, qui agrège toute une "faune", pourrait-on dire.

Dès les premières pages, vous vous interrogez sur "ce que l'on sait vraiment de Monaco" (ci-haut). Il y aurait une image de carte postale, fantasmée, et un univers plus sombre, beaucoup moins connu ?
C'est vraiment parti de la première fois où j'y suis allé, c'était un vrai choc visuel. J'avais en tête les photos des magazines de célébrités, ce palais princier bien propret et ces galas de charité. Et puis, au final, on voit ces grands immeubles de vingt étages entassés partout… J'ai eu cette curiosité de me demander ce que tous ces gens extrêmement riches viennent y chercher.
Les deux affaires dont on parle ici permettent d'expliquer les fondements sur lesquels repose Monaco.
"C'est très difficile d'enquêter et de faire parler les gens à Monaco"
Hélène Constanty
L'un des personnages évoque un côté "forteresse de riches". Ça expliquerait la culture de la discrétion, voire du silence qui y règne ?
C'était le ressenti du dessinateur qui n'y était jamais allé. Il a été très frappé de voir l'étalage de richesses, les voitures de luxe et l'obsession de la sécurité, les caméras de surveillance…
Rien n'est dit ouvertement, c'est un petit pays dans lequel les gens se connaissent, se côtoient tous. Il y a beaucoup de médisance, de jalousie, mais en privé.
Personne n'ose parler publiquement, c'est très difficile d'y enquêter et de faire parler les gens. D'ailleurs, pour cet album, il n'y a pas eu une seule ligne dans la presse monégasque. Et ce n'est pas un oubli.
Ce qui est frappant sur la Côte d'Azur, c'est d'entendre parfois les gens se demander si ce qu'ils disent ou écrivent "pourrait déplaire au Prince" ou être mal perçu… Je ne me préoccupe pas de ce qu'il pense de mon travail.
Vous n'abordez d'ailleurs pas tellement le côté politique dans cet ouvrage.
Ça mériterait d'être creusé, effectivement, puisque tout cela reste très opaque, très mystérieux. On pourrait essayer d'évaluer la fortune de la famille princière par exemple, c'est très compliqué.

Travaille-t-on différemment pour réaliser une bande dessinée d'enquête, un long reportage dans la presse ou un livre d'investigation ?
Avec une BD, le travail du dessinateur est très important, il a un vrai travail d'auteur. De mon côté, je mène mon enquête de la même façon qu'en presse écrite ou en télévision, la matière est la même. Mais avec la liberté que donne la BD : imaginer des scènes et donner aux faits une présentation très cinématographique.
Je transmets à l'illustrateur mon scénario, avec de la documentation, des photos… Thierry Chavant et notre éditrice ont ensuite beaucoup travaillé sur les couleurs, avec des tonalités très élégantes, dorées, noires… C'est un vrai travail artistique, on voit l'histoire prendre vie.
"La BD rend les grandes enquêtes journalistiques très accessibles"
Hélène Constanty
Ces dernières années, plusieurs journalistes ont également opté pour ce format pour présenter leurs enquêtes : y voyez-vous l'occasion de toucher un nouveau public, qui n'aurait pas suivi des affaires aussi compliquées sur des supports plus traditionnels ?
Bien sûr, Thierry Chavant avait auparavant publié avec cinq journalistes un album sur l'affaire Sarkozy/Kadhafi, le financement de la campagne présidentielle de 2007. C'est une façon de faire découvrir l'enquête à des gens qui ne liraient pas Mediapart, Le Monde, qui n'achèteraient pas un livre sérieux… ça leur tomberait des mains. La BD rend toutes ces histoires très accessibles.

Ce qui est particulièrement intéressant avec ces grandes affaires, c'est qu'on a l'impression que la réalité est bien plus forte que la fiction…
C'est aussi en cela que l'assassinat d'Hélène Pastor et de son chauffeur (ci-haut) est passionnante. Tout cela est très romanesque, avec ce choc des mondes : la femme la plus riche de Monaco, qui va croiser deux tueurs des quartiers Nord de Marseille, recrutés par l'intermédiaire d'un coach sportif qui vient faire faire des abdos aux riches monégasques… C'était fou de voir ces personnages côte à côte dans le box des accusés.
Vous travaillez également en Corse. On pourrait se dire qu'il est aussi difficile d'enquêter sur l'Île qu'en principauté, c'est le cas ?
C'est différent. Je connais bien la Corse puisque j'y fais des reportages depuis de nombreuses années. Contrairement à l'image qu'on en a, les gens parlent beaucoup. Mais assez peu à la police et à la justice.
La BD "Monaco : luxe, crime et corruption" est sortie le 24 mars aux éditions du Soleil, collection Noctambule.
