Rencontre au Festival du livre de Nice avec le romancier lauréat du prix Baie des Anges 2023.
Avec "Ceci n'est pas un fait divers", Philippe Besson plonge ses nombreux lecteurs dans le drame d'un féminicide, raconté par l'un des enfants de la victime. Après la sidération, place à la colère, à la culpabilité, à l'analyse d'un redoutable mécanisme criminel et surtout, au long travail de reconstruction.

Nice-Presse : "féminicide" est un nouveau mot, qu'apporte-t-il en termes de compréhension de ce fait de société ?
Philippe Besson : Il a le mérite de marquer les esprits, d'être retenu. Pour l'instant, il n'est pas reconnu par la justice, pas davantage par nos traitements de texte : il y a donc encore du chemin. Il illustre le fait qu'un homme s'arroge le droit de décider que "sa" femme doit mourir. Le féminicide est un crime de propriétaire.
On en a enfin terminé avec la fable du "crime passionnel" que l'on pourrait résumer en une phrase : "il l'aimait tellement qu'il l'a tuée". C'était une absurdité absolue.
Ce roman, vous l'avez écrit parce que la société détourne encore trop son regard ?
Nous sommes mieux informés qu'avant, mais on considère ces crimes comme des statistiques, des faits divers. Les chiffres des féminicides - autour de 140 en France - des plaintes déposées - 200.000 - sont désincarnés. Et on s'y habitue. Il faut pourtant réhumaniser ces histoires.
C'était la "grande cause du quinquennat", d'après Emmanuel Macron : les politiques ont-ils pris la mesure de ces drames ?
Il reste beaucoup à faire. Mais il y a des progrès. Le numéro 3919 est joignable tous les jours pour les victimes comme pour les témoins, il y a aussi davantage de dispositifs pour éloigner les conjoints violents. La justice punit aussi bien plus sévèrement qu'il y a encore quelques années.
Lacune très concrète développée dans votre livre : les enfants des victimes sont très mal accompagnés…
Après le meurtre de leur mère, rien, absolument rien n'est prévu pour eux. Pas d'hébergement alors que la maison, quand il s'agit de la scène de crime, est placée sous scellés… Ils doivent attendre deux ans avant le procès, et le père garde l'autorité parentale sur les enfants mineurs. On ne prend pas en compte la mesure de leur traumatisme, alors qu'ils sont, eux aussi, des victimes.
"L'homophobie est encore plus dangereuse aujourd'hui"
Des critiques estiment que vos livres sont de plus en plus sombres. C'est vrai ?
Le monde l'est. Les romanciers sont rattrapés par le réel. Ce livre, il naît d'une rencontre avec un lecteur qui finit par me dire "mon père a tué ma mère". Dès lors, on ne détourne pas les yeux, et on essaie d'éveiller les consciences. J'ai longtemps pensé que mon seul rôle était de divertir le lecteur, de l'emmener dans le sensible avec une histoire. Je me trompais.
Votre best-seller "Arrête avec tes mensonges" était adapté au cinéma cette année. Vous expliquez qu'aujourd'hui l'homophobie est plus violente qu'avant, puisqu'elle s'exerce "en connaissance de cause". C'est-à-dire ?
L'homophobie que j'ai pu subir quand j'avais 17 ans au milieu des années 1980 en Charente, elle provenait de gens pour qui l'homosexualité était très inconnue. Ils s'en moquaient parce qu'ils n'avaient, comme référence, que la Cage aux folles.
Aujourd'hui, les homophobes savent très bien ce qu'ils font. Il y a dix ans, des gens défilaient dans les rues contre le mariage pour tous en m'expliquant que si je voulais épouser mon compagnon, je pouvais bien épouser un chien. C'est un rejet réfléchi et assumé, bien plus dangereux.
"La Côte d'Azur est profondément romanesque"
On sait que dans vos romans les lieux sont au centre du récit et que vous aimez beaucoup les littoraux, la mer. Nice ou la Côte d'Azur pourraient vous inspirer pour un prochain livre ?
Je viens à Nice avec beaucoup de plaisir, je le fait souvent. J'aime effectivement les littoraux, c'est d'ailleurs un élément très utile pour mon récit, puisqu'on se noie beaucoup chez moi. La Côte d'Azur serait un décor intéressant, avec son paysage profondément romanesque. Mais je n'ai pas encore eu de déclic ici.
- "Ceci n’est pas un fait divers": Éd. Julliard. 208 p., 20 €.