Le docteur Pascal Pugliese est spécialiste en infectiologie au CHU de Nice. Il est également le coordinateur régional de la lutte contre l'épidémie de VIH.
NICE-PRESSE. Il y a un an, on notait que la lutte contre le virus dans notre département avait permis une chute de 40% des nouveaux diagnostics entre 2015 et 2018. Où en est-on aujourd'hui ?
Pascal Pugliese : Plusieurs initiatives avaient permis d'obtenir ces résultats très encourageants. Nous avons beaucoup progressé avec le développement de la prophylaxie pré-exposition (PrEP), un médicament préventif qui empêche de se faire contaminer. Nous avons également mis en place des dispositifs de tests : lorsque les personnes sont dépistées puis traitées à temps, elles ne transmettent pas le virus.
Malheureusement, la pandémie de COVID qui nous a frappé en début d'année est passée par là et a freiné les actions que nous souhaitions mettre en place.
N-P. Dans quelle situation épidémiologique se trouvent Nice et les Alpes-Maritimes ?
P.P. : Nice fait partie des grandes villes françaises les plus touchées. Dans les Alpes-Maritimes, on est entre 50 et 100 nouvelles contaminations par an. Rapportées au nombre d'habitants, ça en fait toujours le département de PACA le plus touché, et notre région est elle-même la deuxième région métropolitaine la plus concernée, largement après l'Île-de-France.
Nous n'avons pas trop de visibilité sur 2019, la pandémie de COVID ayant complexifié le recueil des données au niveau des laboratoires de ville sur les nouveaux cas de contamination.
De ce que nous avons observé directement, dans le soin, on a vu arriver en 2020 à peu près autant de nouveaux patients séropositifs que l'année dernière. Nous sommes relativement stables.
N-P. Dans quelle mesure le confinement a-t-il impacté la lutte contre le VIH ?
P.P. : Au niveau national, dans les laboratoires de ville, c'est 650.000 sérologies qui n'ont pas été réalisées depuis le confinement, par rapport à l'an dernier. Concrètement, il y beaucoup moins de tests VIH qui ont été réalisés.
À côté de cela, le développement de la PrEP, le traitement préventif, s'est effectué bien plus lentement que ce que nous attendions. L'année dernière, nous avions près de 22.000 personnes qui l'utilisaient. Aujourd'hui, on est à 32.000 : c'est bien moins qu'espéré.
D'une manière générale, l'offre de soin en terme de dépistage et d'accueil dans les structures adaptées est fortement altérée par la crise sanitaire.
N-P. Sur quoi avez-vous pris du retard ?
P. P. : Cette année, on comptait par exemple renforcer nos actions auprès des gays les plus jeunes : certains d'entre eux ne se protègent pas assez et le recours à la PrEP reste faible. Nous pouvons également intensifier nos actions auprès des migrants et des étrangers arrivés récemment sur le territoire qui ne sont pas tous correctement sensibilisés aux stratégies de prévention et aux parcours de soin qui existent pour les protéger.
On devait faire pendant quinze jours des actions hors-les-murs, de la sensibilisation de la population, distribuer des auto-tests… Ça n'a pas pu être fait, c'est reporté à l'année prochaine.
Toutefois, nous avons encore la chance de bénéficier jusqu'à la fin de l'année de l'opération "Au labo sans ordo" qui permet d’avoir accès sans frais et sans ordonnance à un test VIH dans tous les laboratoires d’analyses médicales des Alpes-Maritimes. C'est une initiative qui a trouvé toute sa place dans la stratégie de dépistage.
N-P : Avec le confinement, peut-on espérer une baisse des contaminations, si les Français sont amenés à faire moins de rencontres ?
P.P. : Oui et non. Forcément, on peut penser qu'il peut y avoir moins de cas grâce à cela. Néanmoins, une étude parue en octobre dernier montrait que les personnes les plus vulnérables — on pense aux hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, les HSH — n'ont pas diminué leurs prises de risque pendant et au sortir du confinement. Certains les ont même augmenté, tout cela sans aller se faire dépister ensuite.
La peur que nous avons à l'heure actuelle c'est que l'on pourrait observer une dégradation de la situation dans les deux ou trois ans à venir avec les retards de diagnostic. Les gens qui vont aller se faire dépister trop tard se mettent en danger et pourraient transmettre le virus à d'autres sans le savoir.
"Les succès dans la stratégie de lutte contre l'épidémie sont là, ils étaient déjà à l'oeuvre depuis plusieurs années : maintenant, on doit collectivement tout faire pour ne pas reculer"
N-P. Dans une récente interview, la présidente du Sidaction expliquait que beaucoup de Français ne se sentent pas concernés par ce virus. Peu mobilisés, ils auraient l'impression que l'épidémie n'est plus très grave et qu'on peut "guérir du Sida". Partagez-vous son sentiment ?
P. P. : Depuis plusieurs années, nous faisons des progrès significatifs dans cette lutte, avec la trithérapie par exemple. Aujourd'hui, quand les patients sont pris en charge à temps, on est en mesure d'isoler le VIH : il n'y a pas d'évolution vers un Sida (syndrome d'immunodéficience acquise, ndlr) et le virus n'est plus transmissible, grâce au traitement. Ce sont des avancées majeures.
Mais il faut garder à l'esprit que nous n'en avons pas terminé avec cette épidémie. Le nombre des contaminations ne baisse pas en France, nous avons 6.000 nouveaux cas chaque année.
Avec la crise sanitaire, les Français peuvent parfois penser qu'ils peuvent repousser les dépistages, les consultations. C'est une erreur : il faut rester prudents.
N-P : On parle également beaucoup de "mésinformation" des jeunes et des plus de 50 ans sur le sujet.
P. P. : Effectivement, il y a un manque d'infos chez les jeunes, mais pas seulement. On n'attrape pas le VIH uniquement quand on a 25 ou 30 ans, ce n'est pas vrai. On a des actions de prévention à intensifier auprès de tous les publics, mais tout cela est perturbé par la situation actuelle.
N-P : Comment pourrait-on expliquer qu'au bout de tant d'années aucun vaccin n'a pu être trouvé contre le Sida, alors qu'on a semble-t-il plusieurs projets plutôt aboutis contre le SARS-CoV-2 ?
P. P. : Les deux virus sont très différents. Le VIH est malicieux, il mute beaucoup, ce qui n'est pas le cas du SARS-CoV-2.
Ce que l'on peut espérer, c'est que la lutte contre l'un va contribuer à enrichir les connaissances que nous avons pour combattre l'autre, et aller ainsi vers la découverte d'un vaccin contre le VIH.
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