Après le premier tour des élections municipales le 15 mars dernier, il reste trois candidats à la mairie de Nice : le maire sortant (LR), Philippe Vardon (RN-Droite Pop) et Jean-Marc Governatori (AEI-EELV). Arrivé largement en tête avec 47.6% des voix, Christian Estrosi semble promis à un troisième mandat. Jeunesse, culture, sécurité… Ce mardi 23 juin, au soir d'une journée consacrée à la relance économique de la ville et au déclenchement du plan canicule, le maire de Nice a reçu "Nice-Presse" pour l'un des rares entretiens qu'il accorde aux médias à quelques jours du second tour, dimanche 28 juin.
NICE -PRESSE. Vous êtes issu d'une famille modeste, ce qui ne vous a pas empêché de gravir les échelons, tant dans le sport qu'après, dans la politique. Diriez-vous qu'aujourd'hui, les jeunes des Moulins, des Liserons ou d'autres quartiers précaires de Nice ont autant de chances et d'opportunités pour réussir leur vie que vous avez pu en avoir ?
CHRISTIAN ESTROSI. C'était dans un contexte très différent. Je viens d'une famille modeste qui m'a transmis une superbe éducation et l'amour de Nice.
Je vois de très belles réussites dans ces quartiers. La préoccupation d'un maire est toujours de veiller à l'équité. C'est la seule véritable égalité : donner plus à ceux qui ont moins.
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Depuis douze ans, on me rappelle souvent que j'ai investi pour le tramway, pour des chantiers du centre… On ne dit jamais que, proportionnellement, parmi les plus vastes investissements que j'ai réalisés, il y a les 600 millions d'euros pour la rénovation urbaine et la politique de la ville aux Moulins, à l'Ariane, à Pasteur.
"Donner de belles références à cette 'génération Estrosi'"
Au bout de douze ans de mandat, je vois des jeunes qui avaient six ans quand je suis arrivé et qui en ont dix-huit aujourd'hui. J'essaie de donner à cette "génération Estrosi" des références : des sportifs de haut niveau issus de ces quartiers, de grands réalisateurs… Je pense à Abdellatif Kechiche, enfant des Moulins, palme d'or au festival de Cannes.
Je leur dis alors, à ces enfants : vous pouvez tous devenir des Abdellatif. Vous pouvez tous devenir aussi maires, députés, présidents, parce que c'est ça l'esprit de la République qui s'est construit au fil des siècles autour de ce multiculturalisme.
Là où se situent nos ennemis dans ces quartiers, c'est tous ceux qui entretiennent le communautarisme et qui font du mal à ces jeunes.
N-P. On a vu avec les troubles récents dans ces quartiers à quel point Nice, comme beaucoup de villes méditerranéennes, brasse une foule de différences : de forts contrastes sociaux, de religions, d'origines,… Comment, quand on est le maire d'une ville aussi diverse, on arrive à faire coexister tout le monde ?
Ch. E. : Les habitants de cette ville "vivent Nice de partout dans Nice". Aujourd'hui, on a un tramway qui part des Moulins et qui va jusqu'au Port, de Pasteur jusqu'à la place Masséna. On est l'une des rares villes de France qui, par ses transports, réunit l'ensemble de ses campus universitaires. Mon boulot c'est de mettre entre les mains de cette jeunesse de quoi assurer cette mobilité, parce qu'à cet âge, c'est le plus important.
Il n'y a pas, pour moi, des jeunes issus d'un quartier ou d'un autre : il y a des Niçois.
"Je me suis battu comme un malade pour l'école de la deuxième chance"
Vous avez aussi, dans les quartiers dont on parlait à l'instant, quelques unes des plus belles éditions des nouvelles que nous primons au Salon du livre de Nice. On envoie dans les classes de ces écoles des écrivains, des philosophes, des lettrés. Souvent, ils arrivent dans des classes où on ne parle pas plus de dix mots de français. À la fin de l'année, ils produisent des nouvelles qui sont primées au Salon du livre !
Hier, je faisais le point de la première année de l'école de la deuxième chance à Saint Roch. On y trouve des décrocheurs scolaires, qui se disent "Mince, j'ai fait une bêtise, je veux revenir dans le système". Ce n'était pas possible pour eux. Aujourd'hui à Nice, on fait en sorte que ça le soit, pour ouvrir des chances à tout le monde. Je me suis battu comme un malade pour monter cette école. Je veux en ouvrir une autre à l'ouest de Nice. On a aujourd'hui 120 personnes en liste d'attente.
N-P. Quel bilan tirez-vous de la cohésion sociale à Nice ?
Ch. P. : Nous sommes dans un pays qui a raté certains virages. Celui de l'intégration, celui de l'assimilation, celui de la lutte contre les communautarismes… Mais quand je compare Nice à certains autres modèles, en Seine-Saint-Denis ou ailleurs, je vois bien que les politiques publiques que nous avons mené ont sans doute enrayé la machine.
"Il faut le courage de dire qu'on ne règlera pas le problème des Liserons. Il faudra reloger la population"
Aux Moulins, il n'y a pas de problème. C'est un exemple formidable. Malheureusement, il y a encore un noyau de délinquance, considérablement réduit, autour de la drogue. Il est sur le point d'être totalement endigué avec les dernières tranches de rénovation urbaine qui vont faire en sorte que ce qui était une cité devienne un quartier qui va prolonger le centre d'affaires de l'Arénas pour rejoindre la technopole de Nice Meridia.
Il y a deux quartiers où les choses restent difficiles. Déjà, les Liserons. On a débloqué 50 millions d'euros pour la rénovation de ce quartier. Mais avec ça, on ne fera que du rafistolage. J'ai tendance à penser que tout ou partie des Liserons ont vraiment vocation à disparaître.
Je dois rendre de la dignité aux gens malheureux qui vivent dans ces quartiers
On ne règlera pas le problème là-bas. L'organisation urbanistique ne le permet pas, c'est une évidence. Il faut du courage. Il faudra reloger la population sur des programmes de mixité.
Il faut arrêter de bâtir les cités comme on le faisait avant, c'est fini, c'est un modèle terminé.
C'est aussi compliqué au Rouret et à Las Planas. Ils sont tous les deux situés à un échangeur autoroutier qui permet d'organiser le marché de la drogue pour des gens qui viennent de l'extérieur.
Aux Liserons, il a fallu qu'il y ait un incident pour que l'État m'accorde une compagnie de CRS permanente qui a ramené le calme. Mais ce n'est pas la solution. C'est avec des programmes de logements et d'activités que l'on règlera à moyen terme les situations difficiles.
Pour la cinquième ville de France, on peut se dire qu'on a restreint le problème. Mais il reste des gens malheureux : mon devoir est de leur rendre de la dignité.
N-P. Les autres candidats ont eu différents axes pour vous attaquer. Mais ils étaient tous d'accord pour dénoncer à votre propos le "candidat des riches Niçois du centre". Quel est votre regard là-dessus ?
Ch. E. : Ce que je viens de développer y répond en grande partie.
Et qu'est-ce que je n'ai pas entendu de ces gens quand j'ai décidé de mettre un milliard d'euros pour faire aller un tramway des Moulins jusqu'au centre de Nice…
Ils ont été les premiers à combattre ce projet "pour les riches".
"Ces gens n'ont rien à proposer, je n'ai pas de temps pour leur répondre"
N-P. Vous vous êtes vivement opposé au Rassemblement national pendant les régionales de 2015 et toute votre vie politique. Les partis de gauche mettent en garde contre le poids que le RN pourrait avoir dans les (futurs) bancs de l'opposition, en parlant de "catastrophe annoncée".
Ch. E. : Je n'ai pas une seconde pour penser à ça. Je ne voulais pas vous refuser cet entretien, mais le temps que je passe avec vous, je le rattraperai jusqu'à pas d'heure ce soir pour faire avancer les dossiers. Je mets toute mon énergie jusqu'à la dernière seconde de mon mandat.
Vous me parlez de gens qui n'ont rien à proposer. Je ne perds pas de temps avec ça.
Je parle aux Niçois, on ouvre des perspectives. Certains peuvent considérer que j'ai été un mauvais maire. Mais on a fait des choses positives à Nice : considérer que tout est mal, qui plus est dans la crise que nous vivons, ça enlève beaucoup de crédibilité.
Vous me dites que je combats ces gens, mais non, je ne les combat pas…
N-P. En 2015, pendant les régionales, vous vous disiez "En résistance" contre le RN.
Ch. E. : J'avais un leader en face de moi en la personne de Marion Maréchal-Le Pen qui avait mis des propositions sur la table avec lesquelles j'avais de profonds désaccords. Nous avons eu des débats.
Dans cette élection, j'ai des gens qui n'ont aucune proposition, là où moi je passe mes journées à proposer.
Maire, c'est une fonction où pour être respectable, il faut respecter.
Un président de la République peut diriger la France avec 6% de bonnes opinions. François Hollande l'a fait. Un maire, il lui faut, au minimum, 60%, 65% d'adhésion. Sans cela ce n'est pas possible. Je n'ai aucune hostilité à l'égard d'un électeur qui ne pense pas comme moi et qui fait d'autres choix.
Je suis donc très prudent à ne jeter aucun anathème sur qui que ce soit. On est dans un contexte d'augmentation du chômage, de tensions sociales…
Si j'entre dans une polémique avec le RN, je ne vais pas créer les conditions de la confiance pour mettre le paquet sur le regain d'énergie qu'il va falloir donner à la ville après l'élection.
N-P. Dans votre profession de foi, il y a un terme qui revient. C'est "Faire respecter les Niçois, faire respecter Nice". Elle ne l'est pas assez, à Paris et ailleurs, selon vous ?
Ch. E. : J'ai une obstination à défendre la crédibilité que nous avons gagné sur les scènes nationale et internationale et que nous ne pouvons perdre à aucun prix.
Pourquoi aujourd'hui en France l'un des marchés immobiliers qui attire le plus c'est celui de Nice, à la sortie du coronavirus ?
Parce que j'ai fait respecter Nice, j'ai fait en sorte qu'elle fasse envie. Pourquoi Xavier Niel vient ouvrir une École 42 dans notre ville ? Je pourrais citer aussi le fait que, depuis six ans, c'est nous qui assurons la présidence du réseau Euromed.
La liste est longue. Il y a quinze ans, Nice n'arrivait pas à accéder à tout cela. Aujourd'hui, c'est fait.
"Je n'ai pas attendu, dès le mois de février j'ai arrêté ma campagne. Et heureusement!"
N-P. Vous êtes pleinement mobilisé sur l'après-crise sanitaire et la reprise économique. Comment va s'organiser votre action d'ici à cet hiver pour porter cette relance à Nice ? Devra-t-elle passer par davantage de décentralisation, comme vous l'avez demandé ?
Ch. E. : S'il n'y a pas de nouvelles étapes de la décentralisation, nous ferons avec les outils actuels. Il faut être dans l'anticipation. Je ne suis pas de ceux qui disent en permanence "donnez-nous ceci, c'est difficile". On se retrousse les manches, on prend nos initiatives. J'ai des collègues maires qui ont passé les deux mois de confinement à se plaindre. Moi, je n'ai pas perdu une seconde : je savais très bien que ça ne tomberait jamais.
Je n'ai pas attendu, dès le mois de février j'ai arrêté ma campagne. Et heureusement ! Si je ne l'avais pas fait, jamais au 11 mai il y aurait eu 660.000 masques distribués à toute la population niçoise. Tout cela, je l'ai organisé avant le premier tour.
Et je ne parle pas de tout le reste, de tout ce que l'État n'était même pas capable d'apporter à notre CHU pour ses quinze unités Covid. Mon retour d'expérience m'emmènera, dans le mandat suivant, à me mettre encore plus dans un rôle de maire protecteur.
N-P. On pense à votre projet d'Agence de sécurité sanitaire et environnementale et de gestion des risques.
Ch. P. : Ce sera notre outil majeur. Elle sera composée de toutes les filières nécessaires, d'experts, techniciens, ingénieurs, universitaires, pour assurer toutes les préventions et protections nécessaires. Elle vérifiera que tous nos projets intègrent bien les critères en terme de mobilité, d'urbanisme, de "safe and smart city", d'autosuffisance alimentaire, de réserve stratégique face à tous les événements qui pourraient nous menacer un jour : séismes, intempéries, épidémies, menace terroriste…
"Je veux pouvoir agir contre les marchands de sommeil qui logent de pauvres gens dans des conditions épouvantables"
Naturellement, je vais me battre, comme j'ai commencé à le faire, avec l'influence que je peux avoir. Plus ma légitimité sera forte en tant que maire d'une grande ville, et plus je serai entendu sur la loi de décentralisation annoncée par le président la République.
En matière de santé, l'État ne peut pas se contenter d'un Ségur de l'hôpital public : il faut un conseil local de santé qui réunisse l'hôpital public, les cliniques privées, les EHPAD, les laboratoires et la médecine de ville. Je le proposais déjà avant l'épidémie avec les maisons de santé territoriales qui mutualisent les réponses à apporter dans tous les quartiers à nos concitoyens.
Il faudra aussi plus de décentralisation dans la sécurité : je le dis très clairement, je n'accepte plus que des gens venus de l'extérieur envahissent sans droit ni titre un terrain et s'y installent. Le maire doit avoir le pouvoir de les déloger.
De même, quand des marchands de sommeil organisent le logement de pauvres gens dans des conditions d'hygiène et de santé épouvantables, le maire doit pouvoir agir avec l'autorité nécessaire.
On dit toujours "la sécurité est un domaine régalien de l'État". Force est de constater qu'il ne garantit pas à tous les citoyens la sécurité à laquelle ils ont pourtant le droit.
C'est un combat que je vais mener, très clairement.
— Propos recueillis par Clément Avarguès et Hadrien Acaldi le 23 juin 2020