La transcription d'une réunion à huis clos révèle qu'une série de cafouillages a conduit à livrer un théâtre inadapté, dont se sont immédiatement plaints les spectateurs. Des dysfonctionnements qui ont lourdement agacé Jacques Médecin, apprend-t-on dans ce document inédit.
Exclusif. "Je suis triste et dégouté". Dans une tribune, avec des mots très durs, l'ancien patron du Théâtre national de Nice Jacques Weber s'opposait vivement, l'année dernière, à la décision de démolir le bâtiment pensé par Yves Bayard, pour le remplacer bientôt par une extension de la Coulée verte.
C'est en 1989 qu'était inauguré le TNN d'alors. Un immense bloc de marbre aveugle, tournant le dos à la ville, avec deux salles de spectacle. Une grande et une petite… Qui, dès le départ, ont donné des sueurs froides à la municipalité.
Rembobinons, grâce à un document de huit pages datant d'il y a plus de trente ans sur lequel Nice-Presse a pu remettre la main cette semaine. Nous sommes le 13 mars 1990, dans le bureau de ce même Jacques Weber.
Motif de l'entrevue ? Trois mois après l'inauguration, les équipements posent déjà tout un tas de problèmes. Autour de la table ont été convoqués cinq directeurs employés par la Ville, deux ingénieurs, un architecte, une décoratrice… C'est dire si les soucis sont nombreux !
Déjà, les spectateurs se plaignent. Dans la petite salle, les sièges sont inconfortables. Dans la grande, c'est pire. Les fauteuils sont si inadaptés que la jauge de 1.000 places a été abaissée à 600.
"Il fallait le dire à temps !"
Jacques Weber n'en a pas fini avec les motifs de mécontentement. Il pointe un autre écueil : les retours des balcons offrent "une visibilité très mauvaise aux spectateurs". Là-haut, un quart des sièges restent donc vides. 200 autres places "sont refusées par le public". La disposition générale est également jugée incohérente.
Ce qui est savoureux, c'est que les feuilles que nous avons pu lire ont été annotées au stylo plume par le maire d'alors, Jacques Médecin. Qui découvre ici que son théâtre tout neuf accumule les défauts… Dans la marge, avec force points d'exclamation, il s'offusque. "Carte blanche avait pourtant été donnée" à Jacques Weber, qui se plaint après-coup de l'état du TNN.
"Les gens de théâtre n'avaient pas les compétences nécessaires pour appréhender certaines données techniques" plaide Weber. "Il fallait le dire à temps !" s'agace Médecin.
Des millions et encore des millions
Il apparaît par la suite que les services techniques… "ont été quasiment absents" du chantier. "C'est bien regrettable" persifle l'édile.
Le responsable des travaux note par ailleurs "le problème de l'acoustique". Il est vrai que si on ne voit pas bien la pièce jouée et qu'on l'entend mal, des questions se posent.
Trois mois après l'ouverture, le bâtiment ferait déjà fuir ses spectateurs, un comble. "Si des améliorations ne sont enregistrées dès la prochaine saison, la désaffection du public risque d'être sensible" pense Weber.
Conclusion, un cabinet sera nommé pour étudier l'ensemble de ces sujets. Mais la conception de l'ensemble restera une problématique majeure. Restauré pour plus de quatre millions d'euros en 2013, l'édifice requiert, en 2020… une vingtaine de millions supplémentaires.
Cette fois, c'est terminé, il sera démoli. En janvier 2023, il n'en reste que des débris. Ses salles sont progressivement remplacées par de nouvelles, plus modernes, aux quatre coins de Nice.