Santé, sécurité, environnement, culture… (premier) bilan et perspectives avec l'interview de rentrée du maire de Nice, après six mois marqués par l'attentat de Notre-Dame, la crise sanitaire et ses conséquences socio-économiques, mais également par la poursuite d'ambitieux projets de développement
Dieu que ces derniers mois ont été mouvementés. À peine réélu en juin dernier, Christian Estrosi a dû poursuivre le combat contre la pandémie de coronavirus mais également affronter le drame terroriste du 29 octobre et les intempéries dans nos vallées. Tout en mettant en oeuvre son programme pour amorcer la relance.
Porté par les 600 questions envoyées par les lecteurs de Nice-Presse, voici un vaste bilan d'étape avec le maire, après avoir dressé celui de l'opposition RN et des écolos.
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Crise sanitaire
NICE-PRESSE. Le département des Alpes-Maritimes frôle la barre des 600 hospitalisations, un record, tandis que la métropole Nice Côte d'Azur, où on se teste beaucoup, a le taux d'incidence le plus élevé de France. Faut-il s'inquiéter ?
Christian Estrosi : Effectivement, on se dépiste tous azimut dans les Alpes-Maritimes. Mécaniquement, plus vous testez, plus vous trouvez de nouveaux cas. Mais nous avons une incontestable explosion de certains indicateurs : le taux d'incidence a bondi de 60% dans le département depuis la fin décembre !
Je suis un peu rassuré par le turn-over dans les hospitalisations COVID, puisque les patients qui sont pris en charge restent moins longtemps.
Mais évidemment, je suis préoccupé.
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"Nous n'en serions pas là s'il y avait eu moins de rassemblements en fin d'année" Christian Estrosi à Nice-Presse
N-P. : Comment expliquer cette flambée épidémique ?
C. E. : Il y a différentes raisons, notre situation frontalière mais aussi tous ces regroupements pendant les fêtes. Les maralpins ne se sont pas contaminés tous seuls. On a vu le nombre de vols à l'aéroport passer de 20 à 120, ce sont les gens de l'extérieur qui ont apporté le virus.
Nous n'en serions pas là si il y avait eu moins de rassemblements en fin d'année, c'est évident. Je prendrai des décisions strictes et appropriées pour que cela ne se reproduise pas pendant les vacances de février.
N-P. : Nice a obtenu les premières doses de vaccin en avance, vous venez encore d'inaugurer un grand centre dédié, mais, malgré vos efforts, ce que l'on voit ces derniers jours ce sont ces doses qui n'arrivent pas, des histoires d'aiguilles trop courtes… Comprenez-vous que ce début de campagne laisse une impression de retard à l'allumage, voire de cafouillage ?
C. E. : Je tiens déjà à mettre un terme à un faux débat : Nice a obtenu des doses avant tout le monde et en a stocké quand elles sont arrivées, parce que le protocole a été pensé comme ça. Mais ce n'est pas parce que nous stockons que nous ferrions une rétention de vaccins.
Je suis très attaché à l'équité territoriale et je peux vous assurer que, dans la métropole comme dans le département, chacun a reçu les vaccins disponibles en proportion des personnes à traiter.
Nous nous devons d'être rapides. Comme vous le voyez ce matin (avec l'ouverture d'un nouveau centre vaccinal au Théâtre de verdure) nous organisons les choses pour vacciner rapidement le plus de personnes possible, à mesure que les nouvelles doses arrivent.
Pour les plus de 75 ans, je vous annonce que cela commencera dès vendredi ici, trois jours avant le reste de la France. Puisque les choses s'accélèrent, j'appelle d'ailleurs le plus grand nombre à s'inscrire sur notre plateforme dédiée.
"Si je gouvernais, les choses seraient parfois différentes" Christian Estrosi à Nice-Presse
N-P. : On a bien compris qu'il s'agit d'une solution par défaut, mais le couvre-feu avancé à 18 heures laisse un vaste sentiment d'incompréhension chez certains de vos collègues maires et dans l'opinion publique. Quel est votre sentiment, dix jours après son entrée en vigueur ?
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C. E. : Vous pourrez demander à n'importe quel commerçant, le reconfinement était à éviter absolument. Mais qui envisagerait de ne rien faire quand on regarde la situation ? Alors nous sommes partis dans ce couvre-feu, que je n'ai pas à défendre plus qu'une autre mesure.
L'État décide. Si je gouvernais, les choses seraient parfois différentes mais tel n'est pas le cas. Mon rôle, c'est que ce qui est mis en place pour nous protéger fonctionne le mieux possible. Pas d'accentuer les polémiques, nous n'avons pas le temps pour les chicaillas.
"Le 15 janvier, nous tirerons un bilan final de l'impact des fêtes" Christian Estrosi à Nice-Presse
N-P. : D'ailleurs, ce couvre-feu, l'obligation du port du masque… c'est vraiment respecté tout cela, en ville ?
C. E. : Dans l'immense majorité oui, et je veux rendre hommage à l'esprit de responsabilité des Niçois. Mais nous avons aussi une petite minorité qui n'applique pas les mesures barrières : ce comportement est inqualifiable. La police municipale a dressé plus de 300 PV depuis le 1er janvier.
On ne peut pas être derrière tout le monde, il faut une prise de conscience. Le 15 janvier, nous tirerons un bilan final de l'impact des fêtes.
"La Smart City fait ses preuves tous les jours" Christian Estrosi à Nice-Presse
Sécurité
N-P. : La politique sécuritaire que vous menez a été contestée, et elle l'est toujours. Certains dans l'opposition estiment qu'elle est disproportionnée et peu efficace. Pourtant, plusieurs des dispositifs mis en place par la municipalité ont fait leur preuve à l'occasion, notamment, de l'attentat. Ça renforce votre détermination ?
C. E. : J'ai parcouru avec attention un long sondage de l'Ifop commandé par vos confrères de La Tribune. On y lit que la ville que les Français prennent en exemple pour surmonter les crises, c'est Nice. Alors moi j'ai plutôt tendance à écouter les Français.
Je suis un partisan de la vision à long terme : nous avons lancé beaucoup de chantiers depuis des années, ils montrent leur grande efficacité et nous n'allons rien lâcher.
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La Smart City fait ses preuves tous les jours, en matière de sécurité, de transition écologique, de développement économique… J'ai entendu les ricanements sur nos caméras, nos policiers municipaux, nos bornes d'appel d'urgence.
Ces outils ont permis qu'un carnage plus grand encore ne soit pas commis à Notre-Dame. Et les images de nos caméras aident les juges à résoudre des centaines d'affaires chaque année.
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N-P. : Les bornes sont en cours d'installation et on a parlé de caméras de vidéo-protection qui fonctionneraient avec le déploiement de la 5G. Quels nouveaux outils allez-vous mettre en place ?
C. E. : Nous avons effectivement plusieurs autres combats à mener. Je pense à la reconnaissance faciale. Nous pourrions arrêter très rapidement des criminels fichés dès lors qu'ils tenteraient de se déplacer dans notre ville, et nous gagnerions un temps fou pour retracer leurs déplacements pendant les enquêtes de police. Nous pourrions aussi faire un travail extraordinaire dans le cas des disparitions d'enfants ou de personnes déficientes.
Je veux que l'on progresse également sur le système d'identification des plaques minéralogiques et sur la gestion des flux de circulation.
"Nous rencontrons également une certaine résistance à Trachel" Christian Estrosi à Nice-Presse
N-P. : Les fusillades se sont enchaînées pendant l'été dans plusieurs quartiers. Vous avez demandé, et le gouvernement vous a promis de nouveaux effectifs dans la police nationale. Où en est-on ?
C. E. : Sur les 100 agents promis, 60 ont été affectés. Nous en attendons donc encore 40. Et je suis satisfait qu'un préfet spécial ait été nommé pour suivre le dossier de notre futur grand commissariat de Saint-Roch.
N-P. : Et pour les municipaux ?
C. E. : Quand les 100 agents promis seront là, je recruterai à nouveau dans ma police municipale. C'est donnant-donnant.

N-P. : Des millions d'euros ont été dépensés dans la rénovation des quartiers, on y a emmené de l'activité, mais aussi des renforts de police… et ça tire toujours. Que pouvez-vous faire de plus ?
C. E. : Ces violences interviennent dans des quartiers très identifiés, les Moulins, les Liserons… Mais nous rencontrons également une certaine résistance à Trachel.
Face à cela, j'ai réclamé pendant huit ans avant de finir par l'obtenir un GLTD, c'est-à-dire un groupe local de traitement de la délinquance, comme il en existe à Bordeaux par exemple. Il mettra en lien les différentes autorités en présence pour une action plus efficace.
Ces règlements de comptes montrent la progression de notre combat contre ces criminels, ils sont en tension, il y a un emballement.
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N-P. : Les habitants de certaines zones plus proches du centre-ville, on pense à Gambetta ou particulièrement à Trachel, affichent une grande détresse sur ces sujets, un sentiment d'abandon. Que leur dites-vous ?
C. E. : Je leur dis que la reconquête est en cours. Elle passe par les mesures que nous venons d'aborder, mais aussi par la revalorisation des quartiers, le soin qui est apporté au tissu commercial, social, et culturel. Nous avons fait de très belles choses au Port, à Bonaparte, ou avec la place de la Libé : il n'y a aucune raison que ce développement ne soit pas le même partout dans Nice.
"Nous allons poursuivre nos efforts sur les logements sociaux" Christian Estrosi à Nice-Presse
Urbanisme et grands projets
N-P. : Malgré des efforts notés, la ville n'atteint pas la proportion réclamée de logements sociaux. Allez-vous poursuivre votre action en 2021 ?
C. E. : Nous y travaillons, et nous allons maintenir la même courbe en 2021. Mais je veux souligner qu'il n'y a pas que ça. Il faut des logements sociaux, par exemple pour les policiers qui vont arriver en ville et qui ont des revenus modestes. Ce seront des logements pour actifs.
Mais nous développons notre ville sur des secteurs stratégiques, comme la French Tech ou le tourisme international. Ces travailleurs-là, ces familles, iront dans le parc privé, que nous devons également encourager.
Il faut une vraie mixité dans l'offre de logements, parce que nous travaillons à sortir de la mono-activité. C'est, là encore, une vision de long terme. Quand je travaille à developper nos industries de pointe, notre secteur de la santé, nos grandes écoles, qui apportent des emplois qualifiés et l'arrivée d'entreprises de la nouvelle économie, c'est aussi pour cette mixité.
N-P. : Nice est en retard au niveau des pistes cyclables, un plan vélo a été lancé et plusieurs espaces ont été aménagés dès la fin du premier confinement. Allez-vous poursuivre cette politique ?
C. E. : L'enjeu est de lutter contre la pollution de l'air dans notre ville. Pour cela, il faut agir par priorités, s'intéresser à ce qui pollue le plus. Mon plan comporte plusieurs points majeurs.
En détails : Pistes cyclables : une année 2021 “charnière” pour la Ville de Nice
Déjà, l'isolation thermique des bâtiments, ce qui correspond à 44% de la pollution. Je suis, à ce titre, ravi d'avoir obtenu du plan de relance cinquante-neuf millions d'euros pour mener ces rénovations : cela équivaudra cent fois à créer cinquante kilomètres de pistes cyclables !
Nous allons également poursuivre nos efforts sur les transports en commun. Soulignons que dans la foulée de la mise en service de la ligne 2 du tramway, 8 à 20% de baisses d'émissions de CO2 ont été enregistrées sur l'axe Est-Ouest. Nous allons aller progressivement vers des véhicules 100% décarbonés d'ici à 2025.
Qui va trouver l’endroit ? 😉
💡Un indice : le Tram Ligne 2 passe par là. Beaucoup de verdure sur le parcours et c’est top ! ☘️ @VilledeNice #Ilovenice #Nice06 #Nicemoments #cotedazurfrance pic.twitter.com/7eQeriurcS
— Olivier ARLET (@OlivMcar) August 29, 2018
Il faut également agir, et c'est mon troisième point, sur les transports de marchandises, notamment sur les poids lourds, avec le déclassement de la Prom' en tant que voie de circulation. Nous allons interdire l'accès de la ville aux gros tonnages.
Et enfin, oui, nous continuerons le travail sur les mobilités douces. Le vélo et la marche à pied, ce n'est pas négligeable dans notre combat, chaque amélioration compte. Et en cela, nombreux sont ceux qui se réjouissent de notre Coulée verte ! Plus la ville est agréable, plus on encourage ces mobilités.
Nous allons poursuivre nos aides à l'achat de vélos, et, évidemment, notre développement des pistes cyclables.
N-P. : Où en est-on pour Gambetta et le Port ?
C. E. : À Gambetta, la consultation est en cours mais manifestement les habitants se fidélisent aux nouvelles pistes.
Au Port, pour les quais Lunel et des États-Unis, les itinéraires sont pérennisés. Viendra ensuite la présentation de l'aménagement routier définitif.
"L'opposition se positionne sur le sujet avec folie parce qu'elle n'a aucune compétence dans la gestion d'une ville. Je reconnais bien là cette courte vue des écolos intégristes et de l'extrême droite" Christian Estrosi à Nice-Presse
N-P. : Après votre réélection, le projet de démolition du Théâtre national et d'Acropolis a été amorcé. Les oppositions au RN comme à gauche sont vent debout contre ces importantes dépenses. Ce vaste projet se justifie-t-il encore avec la crise que nous vivons ?
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C. E. : La question que l'on doit se poser, c'est "passé cette crise, Nice veut-elle rester compétitive dans le tourisme et dans la culture?". Il faut avoir une vision et je rappelle que ce projet a dix ans. Nous allons ainsi déplacer le palais des congrès à l'Ouest pour rivaliser avec les nouveaux standards internationaux. Acropolis n'est plus assez compétitif. Nous aurons bientôt là-bas un pôle multimodal majeur, qui a nécessité des investissements.
L'hébergement adapté, où est-il actuellement ? À Cannes, et à Monaco. Demain, nous aurons un niveau d'accueil qui leur sera égal, voire supérieur. Les établissements que l'on attend pour ce type de congrès, ils arrivent : un Sheraton, un Hilton ou encore l'hôtel de luxe qui va arriver au couvent de la Visitation (vieux-Nice). Il a fallu convaincre les investisseurs dans cette vision, ils nous on fait confiance.
Et on aurait fait tout cela pour rien ? L'opposition se positionne sur le sujet avec folie parce qu'elle n'a aucune compétence dans la gestion d'une ville. Je reconnais bien là cette courte vue des écolos intégristes et de l'extrême droite, les deux défenseurs de la décroissance.
Culture
N-P. : Le secteur de la culture est particulièrement sinistré par la crise que nous vivons. Comment allez vous l'accompagner ?
Je n'attends évidemment pas que la situation se stabilise pour être présent en soutien.
Nous sommes inquiets pour les entreprises du spectacle, les intermittents, les associations. Nous allons donc poursuivre les aides, qui sont conséquentes.
Mais au-delà de ça, je dis au gouvernement : il faut fixer une date irrévocable de reprise de la culture. On doit se dire "quoi qu'il arrive, nous reprenons en septembre 2021" par exemple, avec un plan clair adapté à toutes les situations, même si la crise n'est pas terminée.
Nous allons proposer un protocole sanitaire adapté. Il va falloir réfléchir à une nouvelle organisation également. Pourquoi, si le couvre-feu perdure, ne pas faire des opéras ou des spectacles à neuf heures du matin ou entre midi et deux ? Ou diviser les concerts de 1.000 personnes en trois séances ? Nous devons nous tenir prêt et avancer.
Photo : Ville