C’est un désastre qui frappe Nice et toutes les grandes villes depuis l’après-coronavirus : la consommation presque généralisée du « gaz hilarant ». La substance, un drame pour la santé publique, entraîne tapage nocturne, pollution et développement des trafics criminels. L’État, très en retard, laisse les communes agir en première ligne.
C’est le branle-bas de combat, comme chaque semaine du côté de la police municipale. Pierre Buisson et les agents de sa Cellule d’Intervention Mutualisée sont amenés à intervenir sur pas mal de fraudes commerciales. Magasins utilisés à des fins de blanchiment d’argent sale, locaux dangereux, vente de marchandises interdites en Europe… Pour cette unité d’experts niçois, la palette est franchement large. Et c’est sans oublier un nouveau péril, qui se propage à vitesse grand V : l’épouvantable gaz hilarant. Jeudi soir, la C.I.M. arpentait la ville pour en traquer les revendeurs.
« Nous sommes confrontés au développement de ce phénomène en particulier depuis l’époque du Covid-19 » nous explique Pierre Buisson. « Le protoxyde d’azote est un composé industriel utilisé pour préparer, par exemple, de la crème Chantilly. Mais, détourné, il peut être employé à la manière d’un produit stupéfiant. D’ailleurs, des pays comme la Belgique traquent ces bonbonnes comme ils le font avec la drogue. Ce marché est d’ailleurs parfois encore plus rémunérateur, au vu des marges pratiquées. La France est en retard…»

« Embolies pulmonaires, accidents cérébraux »
Pour la santé, ses effets peuvent être dramatiques. « Un mésusage implique des risques aigus : pertes de mémoire, embolies pulmonaires, accidents cérébraux, etc. On peut en mourir, même en étant très jeune, ou connaître de graves séquelles. Cela concerne désormais tous les quartiers, toutes les couches de la population » souffle le docteur Hervé Caël, président de l’Ordre des médecins en région Sud et élu communal.
Les conséquences locales sont multiples et extrêmement pénibles, tel que le développe Pierre Buisson. « Si une bonbonne de ce gaz est mélangée avec les déchets habituels et termine dans nos fours de valorisation, elle peut exploser. Un jour d’arrêt pour notre usine, ce sont 100.000 euros à payer pour le contribuable. Sans compter tous les restes divers et variés que l’on retrouve partout dans les rues au petit matin et que les agents du Nettoiement doivent récupérer. Après des heures de regroupements tardifs qui excèdent les riverains ».
Trous dans la raquette
« Nous ne restons pas les bras ballants, la municipalité a réagi très vite » fait valoir Anthony Borré, le premier adjoint de Christian Estrosi. « Depuis le 1er octobre, nous avons publié un arrêté qui interdit la vente de ce ‘gaz hilarant’ aux mineurs comme aux adultes. Les professionnels qui en auraient légitimement besoin doivent dorénavant présenter un justificatif ». Sur le papier, certes. Dans les faits, les choses sont bien plus compliquées.
Dans le Vieux-Nice, 8️⃣ établissements ont été contrôlés, révélant plusieurs infractions : ballons et bouteilles de protoxyde d’azote, consommation de chicha en dehors des fumoirs, travail dissimulé, troubles à l’ordre public.
— Anthony Borré (@anthony_borre) August 11, 2024
➜ Des fermetures administratives sont en cours. pic.twitter.com/LInClXtSGF
« De plus en plus d’épiceries de nuit sont ouvertes, et les gérants de certaines ne respectent rien des règlementations. La police municipale doit mener un grand nombre de contrôles, entamer des procédures (contestées devant le tribunal, mais jamais perdues) pour obtenir des fermetures administratives. Très temporaires, parce que la loi en vigueur reste faible » dénonce le « monsieur sécurité » de la Ville.
Exemple avec le MS Market de la Madeleine, encore une fois pris ces derniers jours à vendre en toute illégalité du tabac étranger et d’autres produits interdits : le site doit baisser une quatrième fois le rideau, mais ni la mairie, ni le préfet Laurent Hottiaux n’auront le droit d’appliquer ceci définitivement…
Le 23 octobre, Nice-Presse a suivi sur le terrain la C.I.M. une partie de la nuit. Aucun stock de protoxyde n’a pu être saisi au cours de notre immersion, mais les suspicions demeurent vives !

Menace
Décryptage de Pierre Buisson : « Nous avons mis la main sur une quantité de ballons gonflables dans certaines épiceries de nuit, mais pas sur du gaz hilarant. A part si les gérants sont fans des goûters d’anniversaire, ce n’est pas normal. Nous pensons que ces ballons sont vendus au comptoir, et le protoxyde dans la rue, depuis une voiture sans lien administratif avec le patron. Comme ça, la police ne peut pas la fouiller. On se heurte aux limites des compétences accordées aux agents…»
Ces dernières années, les cas graves d’addiction liés au « proto » ont été multipliés par quatre, selon Santé Publique France. Une fois sur dix, ils touchaient des mineurs. Dans 80% des situations, ils impliquaient d’importants troubles neurologiques. D’où l’urgence d’une réforme à la hauteur de la menace.
Le spécialiste des questions sanitaires et eurodéputé UDR Laurent Castillo abonde « si les forces de l’ordre interviennent sans que des sanctions suivent, ça ne sert à rien. Les jeunes l’ont intégré et se sentent intouchables. À un moment, il n’y aura que la punition qui permettra de changer les choses. »
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