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DÉVELOPPEMENT DURABLE -- Comment garantir notre sécurité alimentaire face au dérèglement climatique, tout en défendant et en adaptant notre culture agricole traditionnelle à cet immense défi ? Ce sont les vastes questions auxquelles Agnès Rampal s'est attelée en tant que rapporteure d'une étude menée dans le cadre de l'Assemblée régionale et locale de l'Euro-Méditerranée (ARLEM).
Nice renforce son engagement méditerranéen
L'élue, qui est aussi conseillère municipale de Nice, membre du Comité européen des régions (CdR), et conseillère régionale, ne compte pas s'en tenir à de simples déclarations d'intention, puisqu'elle préconise de lancer de grands sommets internationaux sur ces enjeux, de créer un réel observatoire pour suivre la mise en oeuvre des différents projets, tout en développant un label international pour promouvoir notre "diète méditerranéenne".
NICE-PRESSE. Vous formulez tout un ensemble de propositions pour notre "sécurité alimentaire face au changement climatique". Notre agriculture n'est-elle plus assez résiliente, assez résistante aujourd'hui ?
Agnès Rampal : Traditionnellement, elle l'est ! Pendant des siècles, elle a résisté à la chaleur. Nos cultures se sont toujours adaptées. Aujourd'hui, on a tendance à perdre cette tradition, face aux importations plus industrielles, qui sont moins bonnes pour la santé. Pourtant, face aux défis du dérèglement climatique, nous avons plus que jamais besoin de notre diète méditerranéenne.
"Nous devons absolument défendre et promouvoir notre régime alimentaire traditionnel" Agnès Rampal à "Nice-Presse"

N-P. Comment pourrait-on la définir ?
A.R. : C'est ce qu'on appelait autrefois le "régime crétois". Dans cet espace méditerranéen délimité par l'olivier, c'est ce régime alimentaire basé sur les fruits, les légumes, le poisson, l'huile d'olive, le blé dur… Tous ces produits sont excellents pour la santé, la qualité de notre diète est d'ailleurs reconnue par l'UNESCO. Elle nous protège des maladies cardio-vasculaires, de l'obésité… Nous devons absolument la défendre, la promouvoir.
N-P. Par quoi est-elle challengée, menacée ?
A.R. : Par le "régime alimentaire cafeteria", pourrait-on dire, ce côté fast-food, industriel. Nos amis du Sud par exemple ont tendance à importer pour leur consommation du blé moins cher, de la viande rouge avec beaucoup de mauvaises graisses, beaucoup de sucre, de sel. C'est un régime alimentaire peu conseillé au niveau sanitaire.
C'est aussi une catastrophe au plan de notre souveraineté alimentaire, puisque nous serions dépendants de ces importations.
Cette situation ne nous permettrait pas non plus de faire face à l'augmentation des températures. L'un des pivots de ce dérèglement climatique, c'est la raréfaction de l'eau. Nous sommes la deuxième zone au monde où les gens en manquent le plus : cela concerne 180 millions de personnes aujourd'hui, potentiellement 250 millions en 2040. Nous devons penser à notre modèle agricole d'avenir.
"Nous sommes tous centrés sur notre pandémie mais pendant ce temps le réchauffement climatique s'accentue et les décisions ne sont pas prises" Agnès Rampal à "Nice-Presse"

N-P. Et dans le même temps, chez nous, une grande quantité d'eau est gaspillée.
A.R. : Exactement. L'eau peut être mal transportée, mal gardée. Quand on arrose, il y a beaucoup de pertes. Il faut investir pour nous permettre de faire des économies colossales. Nous devons mener une véritable politique agricole méditerranéenne, insufflée par les gouvernements qui doivent se réunir davantage et parler d'agriculture. C'est actuellement le parent pauvre des réunions internationales.
C'est impératif, on ne peut pas attendre. La désertification va s'accentuer sur des sols déjà très fragiles et nous pourrions assister à un exode rural massif dans les villes, notamment dans le sud.
Il faut également avoir à l'esprit que les cultures méditerranéennes sont essentiellement tenues par de petites entreprises familiale qui n'ont absolument pas la possibilité de s'adapter si on ne les aide pas. On est tous centrés sur notre pandémie mais pendant ce temps le réchauffement climatique s'accentue et les décisions ne sont pas prises.
"Nous sommes dans une forme de co-propriété, avec une petite mer qui représente moins de 1% des eaux du globe" Agnès Rampal à "Nice-Presse"
N-P. Comment donner envie aux jeunes de continuer à s'orienter vers le secteur agricole, touché par une très forte précarité, et dans la préservation de notre modèle alimentaire méditerranéen ?
A.R. : Ils ne pourront s'investir que si on les aide. Il faut des incitations économiques, il n'y a pas de secret. Ces changements pour atteindre la résilience, faire de qualité, mieux utiliser les ressources, demandent tous de la coopération, un accompagnement, des moyens, des investissements. Nous devons revaloriser ces métiers, montrer qu'ils sont indispensables à notre société.

N-P. La raréfaction des ressources pourrait mener à une escalade des tensions dans les années à venir, notez-vous dans votre rapport, avec des phénomènes de migrations et de conflits.
A.R. : C'est évidemment un effet domino propre aux crises. Nous parlons d'un avenir proche, d'ici 2040. Et nous l'avons vu avec cette crise sanitaire, avec ces scènes incroyables dans les supermarchés en mars dernier : la première préoccupation des gens, c'est de savoir comment nourrir leurs enfants.
Nous sommes dans une forme de co-propriété, avec une petite mer qui représente moins de 1% des eaux du globe. Ce qui se passe au Sud impacte immédiatement le Nord, et inversement. C'est un phénomène qui va encore s'accentuer.
Cuisine du futur
N-P. : Pour l'anticiper, vous préconisez de s'inspirer du meilleur de ce qui se fait en Afrique.
A. R. : Nous devons nous préparer à cela. Nous pourrions tout à fait adopter dans nos cultures ce qui est traditionnellement africain, comme le mil et le sorgho (des céréales, NDLR), qui résistent très bien à la chaleur. Ça ne fait pas partie, pour l'instant, de nos habitudes alimentaires mais ça mériterait d'être mis au goût du jour.
Nous devrions également créer une vraie banque des semences résiliantes, pour les valoriser auprès de nos agriculteurs, ce qui pourrait en plus éviter le recours à certains pesticides. Tout cela s'inscrit dans une cohérence.
N-P. : Pour valoriser notre régime alimentaire, vous proposez la création d'un "label Produits de la Méditerranée". Il y en a déjà beaucoup des labels, que pourrait apporter celui-ci ?
A.R. : Ces dernières années, nous avons vu se développer le nutri-score. C'est une très bonne chose, il pointe les produits trop caloriques et ceux qui sont plus qualitatifs. Mais il peut parfois nous pénaliser : notre huile d'olive par exemple est classée C, au milieu de la grille, comme s'il s'agissait d'un aliment à part entière. Ce score n'est pas toujours très adapté.
Ce régime crétois, si bon pour la santé, mérite une mention particulière pour le consommateur. Il permettrait également d'orienter davantage les jeunes vers un régime alimentaire plus sain, mais également de le valoriser à l'international, et ainsi d'apporter des débouchés à nos agriculteurs qui exporteraient ainsi beaucoup plus nos produits.
Ce label, avec une vraie garantie qualitative d’un point de vue nutrition-santé, devrait être porté par l'Europe, et soutenu par un grand plan de communication. La promotion des produits labellisés pourrait être organisée chaque année de façon itinérante dans différents pays.

Nice, capitale méditerranéenne
N-P. Projets d’une "Académie de la Méditerranée", d'une "Maison de la Paix", réception du délégué interministériel Karim Amellal… On a le sentiment que le nouveau mandat de Christian Estrosi à Nice s'inscrit résolument dans cet engagement méditerranéen, peut-être encore davantage que les années précédentes.
A.R. : C'est tout à fait cela. Le maire a pu mener un certain nombre de projets structurants pour les Niçois et la région ces dernières années. Aujourd'hui, il a encore davantage envie de développer des projets sur ces enjeux. C'est la feuille de route qui m'a été donnée : Nice a tout d'une capitale de la Méditerranée, c'est un engagement de long terme.
C'est aussi pour cela qu'est né ce projet d'Académie. Nous allons donner un écrin à cette pensée méditerranéenne, aux grands penseurs, aux intellectuels, qui vont pouvoir dépasser tous les conflits pour réaffirmer notre identité, notre ADN et nos valeurs communes.
Face à nous, il y a des défis immenses, cette sécurité alimentaire, la pollution, les relations internationales… Ce que nous voulons laisser en héritage à nos enfants, c'est la paix que mérite la Méditerranée.