Vendredi 16 octobre, un professeur d'histoire-géographie a été décapité à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) dans une attaque islamiste. Le terroriste lui reprochait d'avoir enseigné la liberté d'expression à ses élèves en leur montrant, notamment, des caricatures de Mahomet. Interview avec Anthony Borré, adjoint au maire de Nice Christian Estrosi, chargé de la Sécurité.
N-P : Comment avez-vous réagi à l'attentat de Conflans, que vous inspire-t-il ?
A. B. : Cet attentat me révolte. Bien entendu il me dégoûte, parce que c'est un enseignant qui a été touché, et toucher un enseignant c'est toucher à la République française dans son ensemble. C'est aussi la liberté d'expression à travers ce que l'on sait de sa personnalité et de ce qui a conduit à sa décapitation.
N-P : Samuel Paty aurait commis une "faute" qui valait la mort pour certains. On a le sentiment qu'une justice islamiste a été rendue dans notre pays. Partagez-vous cette analyse ?
A. B. : Je ne catégorise pas la barbarie. Lorsqu'il y a eu l'attentat du 14-juillet, on a dit "c'est la première fois avec un 19 tonnes", maintenant on dit que "c'est la première fois qu'un homme est décapité" (note : il y a un précédent, avec l'attaque de 2015). Tout cela est abject, et démontre que la République est attaquée. Elle doit être défendue et protégée. Il faut désormais plus d'actes, et moins de paroles.
N-P : Au niveau local, puisque vous êtes notamment chargé de la Sécurité, avez-vous l'impression que Nice est assez "armée" pour lutter contre cet islamisme radical ?
A. B. : Ce sujet relève de l'Etat en premier lieu, ce n'est qu'avec des décisions fortes au plan national qu'on pourra gagner cette guerre.. Au niveau de la Ville de Nice, nous avons pris des initiatives, à la demande de Christian Estrosi, plus fortes que les autres.
"Nice a combattu très tôt et très fort l'islamisme radical avec un arsenal de mesures"
En 2013, il est le premier maire à avoir mis sur le devant de la scène des cas de radicalisation, à travers l'exemple d'une maman niçoise qui a vu son fils partir au djihad en Syrie.
Nous avons mis en place des dispositifs : nous avons formé nos agents aux signaux faibles de radicalisation, nous avons mis en place une cellule d'écoute, demandé aux gouvernements de nous transmettre la liste des fichés S, nous avons mis des policiers dans les écoles, nous avons mis en place une charte dans les associations où, dans le passé, nous avions connu des problèmes, notamment dans les équipements sportifs.
Nice a combattu très tôt et très fort l'islamisme radical avec cet arsenal de mesures. Mais c'est un domaine dans lequel il faut garder beaucoup d'humilité.
N-P : Est-on assez aidés par l'Etat ?
A. B. : Un certain nombre d'avancées ont été obtenues et c'est heureux, mais on le voit bien, la "Cinquième colonne" n'a pas été éradiquée. Je rappelle d'ailleurs que Christian Estrosi est le premier à l'avoir dénoncée.
N-P : Quelles lacunes observez-vous dans l'action et l'accompagnement de l'État ?
A. B. : Je me réjouis des déclarations du ministre de l'Intérieur qui annonce quotidiennement des opérations de police dans les milieux islamistes, la dissolution de plusieurs associations. Maintenant, il faut dissoudre toutes les organisations qui s'attaquent aux valeurs de la République.
Il a annoncé l'expulsion de 230 personnes étrangères fichées pour radicalisation, mais on sait que dans notre pays il y en a 3.800. Il faut donc aller bien au delà pour mener ces expulsions, quand les règles internationales le permettent, en étant beaucoup plus fermes avec nos partenaires internationaux pour qu'ils puissent récupérer les ressortissants criminels.
En matière de séparatisme, il faut que nous soyons intraitables avec ceux dont on sait qu'ils pourraient prendre les armes contre notre pays. Ceux qui vomissent la France doivent se voir refuser l'accès aux APL.
Aucun droit ne doit être octroyé aux ennemis du droit.
N-P : Vous parlez des collectifs, divers, qui devraient être dissous. D'après vos informations, y en a-t-il à Nice ?
A. B. : Non, pas à ma connaissance. Quand c'est le cas, nous en faisons part au préfet.
Nous avons demandé la fermeture d'un lieu de culte qui s'est édifié contre notre volonté à l'ouest de Nice. Il est aujourd'hui ouvert, cela nous a été imposé par le gouvernement socialiste. Le bien appartient au ministre de la Charia de l'Arabie Saoudite. Il y a peut-être des bien-pensants pour trouver que c'est formidable. Nous, nous considérons que l'Etat doit faire le nécessaire.
N-P : La mosquée En-Nour devrait-elle faire l'objet d'une investigation selon vous ?
A. B. : Je ne veux porter d'accusation sur personne, mais nous considérons que les lieux de culte doivent être financés par des fonds transparents. Là, ce n'est pas le cas : l'influence de l'Arabie Saoudite est un élément d'inquiétude.
N-P : D'autres lieux de culte posent-ils problème à Nice ?
A. B. : Non, pas à ma connaissance. Mais c'est le préfet qui pourrait le dire avec certitude.
En 2008, quand Christian Estrosi est devenu maire, il y avait des prières de rue, des caves et des garages où il y avait des prières clandestines. Aujourd'hui, il n'y en a plus.
Nous avons travaillé pour faire en sorte que les musulmans aient des lieux de culte dignes, respectueux et transparents sur leurs financements et leur organisation juridique.
Nous avons besoin de la communauté musulmane. Il faut qu'elle condamne fortement ces actes, ce qu'elle a fait cette semaine. Je réunirai d'ailleurs (des collectifs) dans quelques jours avec le maire pour échanger autour de ces questions.

N-P : Autre proposition de Christian Estrosi : envoyer un policier dans les collèges et lycées, comme cela a été fait depuis 2018 à Nice dans les écoles. Les agents municipaux, au contact, donc, des élèves, de leurs parents et des professeurs, ont-il déjà observé un repli communautaire dans nos écoles ?
A. B. : À cet âge, c'est assez rare d'observer cela, les choses arrivent un petit peu plus tard. L'idée est de créer du lien, de lutter aussi contre l'omerta. Pour mettre fin à cette loi du silence, le policier peut être un confident de l'enseignant en cas d'incident. La présence régulière, pas forcément permanente, d'un policier apporte un soutien à la communauté éducative, sans la déposséder. Tous nos retours sont positifs.
Dans son interview au Point, le maire demande la fermeture des établissements scolaires confessionnels hors contrats, "comme les mosquées salafistes", parce qu'ils seraient utilisés pour que les enfants ne reçoivent pas l'éducation républicaine qui dérange les islamistes : nos valeurs, l'histoire … ("la Shoah, les croisades"). Préconise-t-il donc la fermeture du collège musulman Avicenne à Nice ?
A. B. : Nous n'avons pas la compétence pour le fermer, mais celui là comme les autres doit être contrôlé régulièrement.
Le maire semble demander une "fermeture" générale de ces établissements pour que les enfants ne sortent pas de l'école républicaine, il ne parle pas de "contrôles".
A. B. : Il faut avoir des éléments avant de prendre cette décision. Je ne veux pas non plus jeter l'opprobre sur un établissement sans savoir.
N-P : En 2015, Christian Estrosi n'était pas loin de demander la fermeture de ce collège qu'il trouvait, sur certains points, pas assez transparent.
A. B. : Et nous n'avons toujours aucune garantie, ça n'a pas évolué !
Nous avons fait plusieurs demandes au gouvernement, sans résultat. Il ne partage pas ces informations avec le maire, nous le regrettons.
N-P : Pendant le confinement, au moment du Ramadan, la mosquée de Roquebillère a mené plusieurs appels à la prière par des haut-parleurs dans le quartier. La Ville, comme le préfet, s'en sont saisis jusqu'à ce que cela s'arrête, au bout de plusieurs soirs d'appels. Vous avez défendu "une réponse d'apaisement" à ce moment là, mais comment agir avec cet apaisement sans être dans le renoncement de l'autorité ?
A. B. : La police a agi, elle est allée sur place faire cesser cet appel. Ce n'est pas un exemple qui arrive tous les jours, c'est arrivé qu'une seule fois, c'est un cas isolé, et il ne se reproduira pas. L'autorité s'impose par la force de la loi et l'intervention des forces de l'ordre. Et elle s'imposera à chaque fois que cela sera nécessaire, point.
N-P : Le Rassemblement national a pourtant diffusé plusieurs vidéos, dont un direct sur Facebook, qui montraient que ces appels à la prière ont été lancés plusieurs soirs d'affilée, malgré plusieurs interventions.
A. B. : J'ai un constat d'huissier qui ne fait état que d'un seul appel.
N-P : Christian Estrosi a réussi à interdire l'accès de Dieudonné à la ville de Nice. Ces dernières années, des personnalités très controversées, comme par exemple Hani Ramadan (voir encadré), ont tout de même pu faire des conférences à Nice. Comptez-vous à l'avenir empêcher ces individus d'organiser des évènements publics dans notre ville ?
A. B. : Il y a une liberté d'expression dans notre pays, on la défend suffisamment pour le rappeler. Quand certaines personnes, sous couvert d'humour, de philosophie ou de travaux universitaires viennent prôner la haine après de multiples condamnations, nous faisons tout pour qu'ils ne viennent pas se produire ici. C'est le cas de Dieudonné à travers des arrêtés, des contentieux juridiques.
À savoir : Hani Ramadan, frère du très controversé Tariq Ramadan, est le descendant de l'un des fondateurs de l'organisation "Frères musulmans", qualifiée de "terroriste" par plusieurs pays. Il a tenu des propos polémiques en 2002 sur la lapidation des femmes adultères, qui serait une forme de "purification voulue par Dieu" et sur la Sida, punition divine des homosexuels. Il est plusieurs fois venu à Nice ces dernières années pour animer des conférences, notamment à l'invitation du CCIF. Depuis 2017, il est interdit de territoire en France "pour menace de l'ordre public".
N-P : Quand Hani Ramadan vient à Nice entre 2014 et 2016, il a déjà prononcé ses phrases sur la lapidation des femmes et le Sida des homosexuels. Et pourtant, il a pu venir faire des conférences dans notre ville, sans que la municipalité ne s'y oppose, comme elle l'a fait pour Dieudonné.
A. B. : Nous pouvons empêcher par exemple Dieudonné de se produire dans des structures publiques, c'est ce que je vous réponds.
Nous n'avons pas le pouvoir de tout réglementer dans ce qui relève du privé.
N-P : Sentez-vous une fracture particulièrement présente à Nice sur ces questions, comme l'analysait notamment le socialiste Patrick Allemand dans nos colonnes cette semaine ?
A. B. : Je n'ai pas du tout le sentiment qu'il y ait des fractures ici plus qu'ailleurs. Ce qui est fracturé, c'est notre pacte républicain qui est attaqué par des islamistes, ce n'est pas Nice ni la société niçoise.
N-P : Comment mener ce combat contre l'islamisme en préservant l'unité nationale, sans aggraver les divisions que nous connaissons déjà ?
A. B. : Il faut agir fortement, ce que nous faisons déjà, et soutenir ceux qui doivent l'être : les enseignants en premier lieu, mais aussi une grande majorité des musulmans de France qui souffrent de cette situation, comme tous ceux qui sont attachés aux valeurs républicaines.
— Propos recueillis par Clément Avarguès le 24 octobre 2020