Il était venu "avec passion", repart "plein de désillusions". Henry-Jean Servat raconte trois ans d'une néo-carrière politique qui aura eu du chien. Certainement trop.
Sur les murs de son bureau, au côté d'un Picasso, encadrés : Delon, Brigitte Bardot, Mylène Demongeot… Ses proches, loin de Nice ou disparus, ont accompagné Servat dans cette mairie où il ne s'en est fait aucun.
Ces derniers jours, lui, l'élu chargé du bien-être animal et du cinéma a pris ses distances dans les médias avec la politique culturelle menée par Christian Estrosi. Ses délégations lui ont été retirées jeudi 22 juin. On lui demande à présent de quitter le conseil municipal.
"On m'a viré comme dans la pire des entreprises"
Cette petite polémique, puis votre destitution, vous les avez vécues de quelle façon ?
Avec tristesse, je crois. On est venu me chercher pour protéger les animaux. Je voulais changer le monde. Il y avait l'ambition de sortir des idées abstraites, pour mener des projets très concrets à Nice. Faire de cette grande ville un modèle du bien-être animal pour le monde entier. En bataillant, j'ai pu faire beaucoup de choses. Mais ça se termine là et j'ai le sentiment d'un immense gâchis.
Comment l'avez-vous appris ?
On m'a viré comme dans la pire des entreprises, comme on le fait d'un laquais que je ne suis pas. Certains m'ont décrit comme un ami du maire. Je l'apprécie, mais ce n'était pas le cas. À tel point qu'il n'a pas décroché son téléphone pour m'annoncer la nouvelle, pas plus qu'il ne m'aurait accordé cinq minutes pour discuter. Quand j'ai parlé d'un déjeuner il y a quelques jours, son chef de cabinet m'a répondu d'un moqueur "certainement pas". On m'a décrit revenchard. C'est faux. J'éprouve du chagrin, et de la désillusion. Beaucoup. Mais rien d'autre.
N'avez-vous pas payé de vous croire privilégié, intouchable, comme on a pu l'entendre ?
Quel privilégié est payé 1.100 euros par mois ? Je n'étais pas dans les petites papiers, on ne m'a pas vraiment soutenu. Quand Nice a obtenu, grâce à notre action, le prix 30 millions d'amis, la directrice du magazine est venue de Paris jusqu'ici pour nous le remettre. Elle devait être reçue par le maire pour fêter ça. On a attendu des heures. Au final, elle n'a pas été accueillie. Le trophée est encore dans un coin de mon bureau…
Je me suis démené pour organiser une "marche des animaux" sur la Promenade des Anglais qui a été un triomphe deux fois d'affilée. Le maire n'est pas venu, et ne m'a même pas demandé comment cela s'était passé. J'ai été très seul.
Tout ça n'est pas très grave, il y a une autre vie en dehors de cette mairie. On ne peut pas dire que j'en ai eu une très belle ici depuis trois ans. Ça a été un été noir.
"Plus on me demandera de démissionner, moins je le ferai"
Aviez-vous les moyens d'agir, dans vos délégations ?
Pas vraiment. En trois ans, je n'ai pour ainsi dire jamais vu Christian Estrosi. Jamais de rendez-vous ou de réunion. Chaque idée prend des mois à être mise en place. Et encore, on m'a refusé beaucoup de choses, notamment des expositions qui ont eu de grands succès dans d'autres villes. J'ai fait venir à la cinémathèque le Prince Albert de Monaco, que je connais très bien. Le maire n'était pas là non plus.
On ne m'a jamais vraiment consulté sur le cinéma, malgré mon expérience et mon carnet d'adresses. Mes 16 lettres de propositions sont restées sans réponse.
Vous n'avez pas tellement fait d'efforts pour vous intégrer dans la majorité…
Je suis venu avec passion pour porter des combats. Est-ce vraiment le cas des autres élus ? Franchement j'en doute. Même si je n'ai rien contre personne et qu'il y a des gens de qualité. Le maire me fait rire quand il évoque dans la presse "l'unité de la majorité municipale". Ça n'existe pas. C'est la zizanie, ils complotent presque tous. Ça tire à hue et à dia. Moi j'ai toujours été franc-jeu, fidèle au maire.
"Je suis touché par le nombre de messages qui m'ont été envoyés"
Vos délégations sont retirées, mais vous restez conseiller municipal. Que comptez-vous faire ? Le maire demande votre démission.
Je m'en fous. Plus on me demandera de démissionner, moins je le ferai. J'ai compris qu'ici on doit obéir aux ordres. Ce n'est pas mon style…
Philippe Vardon vous propose de rejoindre son groupe d'opposition. C'est un option ?
Quelqu'un qui vous tend la main, c'est toujours sympathique. Vardon et ses élus sont des gens de qualité. Ils ont été les seuls à me soutenir quand j'ai dénoncé la dérive woke de l'Opéra. Mais nous n'avons pas les mêmes idées politiques. Si ça peut être une occasion d'avoir une tribune, je vais voir.
Comment avez-vous reçu le soutien d'Eric Ciotti, grand ennemi du maire ?
Je me suis "harponné" avec lui sur la corrida et sur la chasse. Je ne suis pas idiot, il ne me soutient pas, il tente d'atteindre Estrosi.
Je suis touché par le nombre de messages qui m'ont été envoyés : Patrick Allemand (Parti socialiste), les élus Reconquête, Jean-Marc Governatori (L'Écologie au centre), le maire de Villeneuve-Loubet Lionnel Lucas… Sans compter toutes les associations, et de nombreux Niçois.
Entre le monde des célébrités et des médias, comparé à celui de la politique, lequel est le pire ?
La politique ! Chez les mondains, il y a au moins un peu de classe, de panache. La brutalité, ils savent l'envelopper.
Quels projets à présent ?
Je n'ai pas prévu de m'ennuyer ! Mon livre "Mes combats pour les animaux à Nice" est terminé, je vais juste, évidemment, y ajouter un chapitre. J'ai en cours un film sur Grace Kelly, et un roman sur les coulisses de tournages de films. Je fais bientôt une exposition Bardot à Villefranche-sur-Mer, puis De Funès à Saint-Raphaël. Je devais faire l'expo Joséphine Baker à la Villa Masséna en 2025. Mais maintenant, comme moi ici, que va-t-elle devenir ?