❝ L'invité du dimanche -- Actions de la Ville de Nice pour les étudiants pendant la crise sanitaire, grandes leçons à retenir de cette période compliquée, projets structurants pour la cohésion sociale et l'emploi des jeunes : cette semaine, l'élu Graig Monetti répond aux questions de Nice-Presse, basées sur vos suggestions.
- Graig Monetti est l'adjoint au maire de Nice Christian Estrosi délégué à la Jeunesse, à la Cohésion sociale et à l’Insertion professionnelle depuis 2020. Il est également le chef de cabinet et le conseiller spécial de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation Frédérique Vidal
Interview menée par Lili Claudet et Clément Avarguès
Le plan d'action de Nice
Le plan d'action de la Ville pour les jeunes a été présenté début 2021, près d'un an après le début de la crise sanitaire. Certains de nos lecteurs s'étonnent de ce délai, quand d'autres taclent les "élus fantômes" qui n'auraient été que trop peu à leurs côtés ces derniers mois. Que leur répondez-vous ?
"Ce n'est pas du tout mon sentiment. On a pris le poste courant juillet, et au mois de janvier 2021, on annonçait 12 mesures.
Pendant la période sanitaire la plus dégradée, nous avons réuni une 'task-force' composée d'associations des quartiers et des étudiants. On a accompagné leurs actions, notamment les dons alimentaires qui ont pu augmenter de 20%.
On a ensuite réuni des groupes de travail, qui ont planché sur les 12 mesures présentées en janvier à la fois sur l'aide alimentaire, la fracture numérique, l'isolement social…
"Au moment où on se parle, on a réalisé 75% de ces mesures. Des bilans comme ça en moins d'un an, je n'en connais pas beaucoup"
Graig Monetti à "Nice-Presse"
Pendant la crise, au-delà de se sentir parfois délaissés, les jeunes ont ressenti une incompréhension des décideurs. L'isolement et la détresse psychologique, par exemple, n'ont pas été perçus tout de suite. Partagez-vous ce sentiment ?
"Oui, totalement. J'ai été extrêmement perturbé par les conséquences psychologiques que cette crise a eu. À 18 ou même 30 ans, ce n'est pas tout à fait naturel de se rendre chez un psy et de dire 'j'ai besoin qu'on m'aide'. On a mis beaucoup de temps à le comprendre.
Notre pays a un problème culturellement avec un pessimisme qui est globalement très installé. Il y a des réalités dramatiques, mais beaucoup de problèmes peuvent être réglés avec des énergies et de l'optimiste. On en a manqué."
Les jeunes ont été pointés du doigt, notamment l'été dernier, comme étant des propagateurs du virus. Injuste ?
"C'est déplorable et inacceptable. On a entendu que les étudiants contaminaient plus de gens que les autres, ou que c'était le cas dans les universités. C'est un procès stupide, infantilisant. À aucun moment ils ne doivent se sentir responsables, tout cela n'a jamais été prouvé scientifiquement.
"Au contraire, la Ville et le pays ont une dette envers les étudiants et les jeunes. On leur a demandé un engagement et des sacrifices pour une situation sanitaire qu'ils vivaient nettement moins que d'autres tranches d'âges"
Graig Monetti à "Nice-Presse"
À tous ceux qui ont vécu ces années universitaires dans ces conditions-là, il faut leur dire qu'ils n'ont rien perdu. La vie qu'ils n'ont pas pu vivre, ils vont la vivre. Et ils ont beaucoup gagné : cette génération a dû faire preuve d'autonomie, de courage, de résilience. Sur le marché du travail, ça fera un plus."
Social
Cette période a mis en avant des problématiques parfois méconnues, comme l'isolement social des jeunes. Comment le combattre ?
"C'est vrai, mais il ne faut pas être dramatiques. Il y a un engouement partout, une envie de revenir à la vie sociale, de construire, de s'ouvrir."
Les personnes âgées y sont également confrontées. L'intergénérationnel pourrait-il être une solution ?
"Absolument, j'en suis convaincu. Nous avons déjà développé plusieurs choses. On a des jeunes indemnisés par la Ville qui donnent des cours de numérique à nos aînés. À l'heure actuelle, nous avons 5 jeunes pour 15 seniors, à la rentrée ça sera encore davantage. En réalité ils parlent un peu d'Internet et beaucoup, beaucoup d'autres choses (rires). Là, on réinvestit de l'humain."
Et pour les logements intergénérationnels, qu'avez-vous prévu ?
"À la fin de l'année, nous aurons 60 binômes jeune/senior qui vivront ensemble.
Les logements seront à des prix réduits et l'initiative sera bénéfique à la fois en termes de pouvoir d'achat que d'échanges d'expériences."
Certains étudiants sont également victimes d'un décrochage numérique, avec des équipements et/ou une connexion insuffisante pour suivre dans une société où tout passe désormais par Internet. Comment les aider ?
"Effectivement, beaucoup d'entre eux ne vivent pas en centre-ville. Ce n'est pas simple pour ceux qui résident dans les vallées, dans l'arrière-pays.
Avec la Ville, l'université et le Crous, nous avons fourni des ordinateurs, des clés 4G. On a mis le paquet, plusieurs milliers d'étudiants on été accompagnés."
Et sur le long terme ? La Région a déjà mis à la disposition des lycéens 4.000 tablettes numériques en début d'année, par exemple.
"C'est l'occasion de saluer l'action de Renaud Muselier sur ce plan. Ces dispositifs sont intéressants, notamment pour des problématiques méconnues ou sous-estimées comme celle de l'isolement numérique.
"La difficulté que nous avons avec tous ces sujets, c'est l'auto-censure, la pression sociale. Beaucoup de jeunes n'osent pas demander de l'aide"
Graig Monetti à "Nice-Presse"
À côté de cela, on a un pays qui aide énormément ses habitants, mais ils ne savent pas toujours ce à quoi ils peuvent prétendre.
Exemple très concret : au Crous, vous avez des aides spécifiques pour lutter contre la précarité. Elles peuvent être demandées pour une fois ou pour toute l'année, que vous soyez boursier ou non, étudiant international ou non. À la fin de l'année, il reste de l'argent dans l'enveloppe, ce qui signifie que tous les étudiants concernés ne se sont pas manifestés. C'est un vrai problème."
Deux restaurants solidaires ont été ouverts à Nice, des épiceries existent aussi. Quel bilan peut-on en tirer, et d'autres projets de ce type sont-ils prévus ?
"Le restaurant social et solidaire ouvert début mars vient d'être arrêté le temps de la saison estivale. Il a distribué 1.300 repas en 13 semaines, on est sur un rythme de 100 repas hebdomadaires. Il y a des services le mardi et le jeudi soir.
"On va rapidement ouvrir un nouveau restaurant du côté de Carlone, vers la faculté de Lettres, qui servira le mercredi soir. Il sera ouvert avant novembre, aux environs de la rentrée prochaine"
Graig Monetti
On aura donc des services du mardi ou jeudi soir sur les deux espaces.
Ce qui est essentiel c'est que, bientôt, nous serons là tous les soirs. J'aimerais que nous arrivions à nous implanter partout dans la ville.
La municipalité apporte un soutien technique mais au quotidien, il faut saluer la Face 06 (Fédération des Associations et Corporations Étudiantes, NDLR). Avec leurs bénévoles, ils font un travail exceptionnel à côté de leurs études, avec un vrai supplément d'âme, y compris dans une situation qui a été difficile pour eux.
Il faut également féliciter les nombreux commerçants qui se sont mobilisés pendant cette crise, qui ont fait des menus à prix cassés, ont donné leurs denrées alimentaires.
"On a une chance à Nice : on est l'une des villes les plus solidaires de France, voire même du monde"
Graig Monetti à Nice-Presse
Nous sommes marqués par des faits traumatiques : quand vous avez connu en quelques années des attentats, une crise sanitaire et la tempête Alex, soit on se renferme tous sur nous-mêmes, soit on devient encore plus solidaires. Les Niçois ont choisi la deuxième option.
J'ai aussi beaucoup de respect pour Christian Estrosi, puisqu'il a su lever les énergies et mobiliser les gens. Les résultats sont là."
Certains candidats aux régionales proposent un ticket resto étudiant, qu'en pensez-vous ?
"Le ministère verrait sans doute d'un bon oeil que la Région prennent en charge à 100% un tel ticket (Renaud Museler propose 100%, quand Thierry Mariani du RN préconise une prise en charge de moitié, soit 3.30 euros, NDLR). Cela dit, nous avons mis en place dans les CROUS les repas à un euro, qui sont sans doute plus qualitatifs que ce qui serait servi dans le marché à 3,30 euros. C'est une mesure beaucoup plus ambitieuse.
Mais ces tickets peuvent avoir beaucoup de sens pour les étudiants qui sont sur des campus très éloignés des grandes villes."
La moitié des jeunes doivent avoir un job à côté de leurs études pour vivre, ce qui peut nuire à leurs résultats. La sénatrice Dominique Estrosi-Sassone a défendu dans nos colonnes le principe d'un débat sur le "revenu minimum universel" ou en tout cas de nouvelles actions pour remédier à cela. Qu'en pensez-vous ?
"En France, on a un système de bourses qui est très compliqué et qui est à bout de souffle.
"Une partie des jeunes du début de la classe moyenne, parce qu'ils dépassent juste un peu les paliers d'attribution, ne sont pas aidés. L'allocation des aides sociales doit être intégralement changée"
Graig Monetti à "Nice-Presse"
Il faut linéariser le système pour en finir avec cet 'effet paliers' et se rapprocher du système des Aides personnalisées au logement (APL). Il faut augmenter les plafonds d'attribution. À l'heure actuelle, le maximum est de 28.000 euros par foyer familial, il faut aller jusqu'à du 35, 36.000 euros. Notons tout de même que les étudiants sont les grands gagnants du changement du mode de calcul des APL."
Christian Estrosi proposait pendant la campagne électorale la gratuité des transports en commun les week-ends pour les jeunes de 18 à 25 ans. Où en est-on ?
"Ce sera le cas le 1er juillet. Sur le plan technique, il faudra une carte. Du vendredi au dimanche minuit ce sera gratuit.
C'est davantage une mesure de prévention qu'une mesure pour le pouvoir d'achat."
Lire aussi : INFO N‑P. Nice : les transports gratuits pour les jeunes tous les week-ends dès le mois prochain, sous conditions
Emploi et insertion pro
Vous avez présenté il y a peu avec le maire le dispositif 'Réseau, diplôme, emploi'. Quel est son objectif ?
"Dès lors que vous avez 13 ou 14 ans, que vous êtes dans un quartier difficile ou une situation particulière, la Ville vous repère, via l'Éducation nationale ou des associations. On signe un contrat avec vous, et on vous emmène des études au diplôme professionnalisant jusqu'à l'obtention de votre premier emploi.
Très concrètement, on va chercher les jeunes en situation de décrochage, ceux qui à quatorze ans n'y croient déjà plus. Et on leur dit, 'si tu joues le jeux, on te proposera un travail et tu l'auras'
Graig Monetti à "Nice-Presse"
On travaille ensemble sur son projet d'orientation, on lui montre une image de lui qu'il a du mal à voir. On va lui montrer qu'il a des talents, des passions, des aspirations. Et surtout, qu'il a des possibilités, pour lesquelles nous allons l'accompagner, par exemple sur le logement étudiant ou avec la mise à disposition d'un tuteur.
"Il y a une mesure qui est exceptionnelle : c'est 5.000 jeunes suivis par un tuteur en 2025 à Nice. On en a déjà recruté 200, 300 à la fin de l'année. Nous sommes la première ville de France à en avoir autant"
Graig Monetti à "Nice-Presse"
Tout ça nous permettra aussi de croiser l'offre et la demande : il y a encore beaucoup de chômage des jeunes chez nous alors que les entreprises peinent à recruter. Nous allons développer des formations dans l'enseignement supérieur adaptées aux besoins des entreprises.
Un exemple concret : Carrefour et Leclerc s'engagent avec nous et nous disent avoir besoin de cadres de gestion, qui comprennent les enjeux des grandes surfaces. On met alors en place un dispositif qui s'appelle DistriSup' à l'Université qui forme des jeunes spécifiquement à cette filière là.
Les entreprises partenaires de 'Réseau, diplôme, emploi' s'engagent à proposer des stages, des alternances et des emplois à ces jeunes.
"Un accompagnement pareil, ça n'existe nulle part ailleurs"
Graig Monetti à "Nice-Presse"
[🔗: La Ville encourage les associations à proposer des projets et des parcours de formation et d’accompagnement aux jeunes identifiés en situation de décrochage scolaire : appel à projets par ici]
Logement
475 appartements et chambres adaptés aux étudiants ont été annoncés, où en est-on ?
"La livraison sera effective en 2025. Presque 500, c'est énorme. Ça fera quatre résidences, ce qui est beaucoup avec le manque d'espace que nous avons, le prix des terrains, le coût des travaux…"
Santé
Vous avez mis à disposition pendant la crise une ligne d'écoute dédiée à la détresse psychologique. Quel bilan en tirez-vous ?
"Elle n'a pas trouvé son public. Le privé comme le public ont lancé des numéros, si bien que le volontarisme sur la question a été un peu trop fort. Nous travaillons, avec de premiers résultats encourageants, sur un numéro unique pour les étudiants. On vient de le lancer doucement et ça fonctionne."
Son parcours
Vous avez été représentant de vos camarades étudiants pendant vos études, vous êtes aujourd'hui à la fois à Paris dans un ministère, et à la Ville en tant qu'élu. Comment gardez-vous le lien avec la jeunesse ?
"Je n'ai pas de stratégie particulière. C'est un style, je suis toujours très présent ici, au contact. Je reçois en permanence, je me sens totalement connecté.
"J'ai encore l'impression d'être un syndicaliste politique"
Graig Monetti à "Nice-Presse"
"Il n'y aucune barrière entre ce que je faisais avant et ce que je fais maintenant. Tous les mercredis soirs, avec 'On en parle', on invite quelques Niçoises et Niçois à échanger pendant deux-trois heures de tous les sujets politiques, y compris des plus fâcheux.
Le jour où vous vous demandez comment faire pour garder le lien avec les gens, il est temps d'arrêter. C'est que vous avez tout loupé."
Comment êtes-vous arrivé sur la liste de Christian Estrosi pendant les dernières municipales ?
"Très simplement. Je suis allé voir le maire, je lui ai dit 'Nice me manque, j'aimerais m'engager pour ma ville'. Je n'oublie pas ce que je dois à Nice."
Avant que la crise du Covid-19 n'éclate, pour quel projet structurant avez-vous rejoint le maire ?
"Le projet pour lequel j'ai vraiment signé mon engagement, c'est celui de permettre aux jeunes des quartiers difficiles de faire des études et de trouver un emploi. Ma feuille de route, c'est d'agir pour la cohésion sociale, basée sur la solidarité et le vivre-ensemble. C'est ce qui me tenais à coeur dès le début.
Je suis très marqué, à la lecture de l'actualité, par le pessimisme, par la montée de toutes les formes de radicalités dans notre pays : le racisme, l'homophobie, le sexisme, l'antisémitisme.
Les extrêmes, politiquement, ne sont plus une tentation, c'est presque une perspective installée. Je veux combattre ça."