L'invitée du dimanche - Lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants, actions anti-discriminations, débat électrique après #MeToo… Sur tous les fronts, lumineuse et déterminée, l'adjointe au maire de Nice Maty Diouf fait un point d'étape sur ses combats avec "Nice-Presse".
- Depuis 2008, Maty Diouf est déléguée à la Lutte contre les discriminations, au Droit des femmes, aux Actions humanitaires et aux Solidarités internationales dans le gouvernement municipal de Christian Estrosi.
Discriminations
"Je suis contre les réunions non-mixtes sur le critère de la race"
Maty Diouf
NICE-PRESSE. Le principe de "réunions non-mixtes", interdites aux Blancs, a fait polémique ces dernières semaines. Quelle est votre position sur la question, vous qui êtes à l'origine de nombreuses initiatives pour recueillir la parole des victimes de discriminations ?
Maty Diouf : "Ce qui a fait polémique c'est de parler de racialité. Il y a depuis un moment des réunions de femmes chefs d'entreprises, de personnes LGBTQ… Ces personnes se sentent rassurées entre elles, c'est une initiative louable.
Moi, ce que je dénonce, c'est l'hypocrisie sur les violences : celles dont sont victimes les femmes concernent toutes les femmes, riches de leur diversité. Je suis contre les réunions non-mixtes sur le critère de la race. C'est là que ça me dérange, quand on essaie d'apporter une connotation raciale.
C'est dangereux, parce que la France est une et indivisible. C'est la défense même de nos valeurs républicaines."
N-P. En tant que responsable politique, n'est-ce pas devenu plus compliqué que jamais de prendre position sereinement sur ces sujets, alors que le débat est si électrique ?
M. D. : "Je lutte contre la pensée unique, donc j'estime que la liberté d'expression rendue possible par les réseaux sociaux est salutaire. Ces dernières années, la libération de la parole des victimes, par exemple, nous a permis d'avancer. Tout en regrettant certaines dérives."
"Dans cette ville de droite, la société niçoise est également beaucoup moins conservatrice"
Maty Diouf
N-P. En 2011, soit trois ans après votre entrée en fonction, vous estimiez qu'à Nice, "il y a un vrai problème d’intégration. Tout est à faire". Où en est-on ?
M. D. : "On venait de loin ! Rappelez vous de l'ère Peyrat ! (Jacques Peyrat, maire proche du Front national, de 1995 à 2008, NDLR) Nice était victime de sévères clichés, dont on s'est débarrassé depuis. Dans cette ville de droite, la société niçoise est également beaucoup moins conservatrice. Les choses, les mentalités ont changé : il n'y a qu'à voir la diversité du conseil municipal. Nice est une capitale méditerranéenne."
Lire aussi : « Nice a tout d’une capitale de la Méditerranée »
N-P. Sur des faits-divers locaux en lien avec les discriminations, comme par exemple pendant l'affaire des banderoles jugées homophobes dans les tribunes de l'Allianz en 2019, on ne vous a pas entendue. C'est une discrétion recherchée ?
M. D. : "Nous avons un capitaine de navire, c'est le maire. Il donne le cap. Moi, je ne suis pas dans la discrétion : je suis sur le terrain. C'est ce que les gens attendent de leurs élus : qu'ils agissent et qu'ils défendent leurs convictions."

Violences faites aux femmes et aux enfants
N-P. Êtes-vous féministe ?
M. D. : "Je suis opposé au fait de ranger les gens dans des cases d'une manière générale. Si être féministe, c'est se battre pour les droits des femmes, pour le leadership et l'empowerment (automonie et pouvoir des femmes, NDLR), je le suis, évidemment. Mais je suis dérangée par la ségrégation des hommes prônée par certaines associations."
N-P. Vous notiez en 2018 une "régression du droit des femmes dans certains quartiers". Qu'entendez-vous par là ?
M. D. : "C'est un sujet sensible. Ce constat, il est fait par de nombreuses associations. On a des femmes qui sortent de moins en moins, qui ne s'investissement plus dans la vie associative ou sociale de leur quartier. La crise sanitaire n'a rien arrangé."
"Depuis le premier confinement, nous avons reçu 50 appels sur la ligne dédiée aux femmes victimes"
Maty Diouf
N-P. Notre département des Alpes-Maritimes a longtemps été l'un des pires du Sud-Est au niveau de ces violences. Comment pourrait-on l'expliquer ?
M. D. : "Ce serait difficile de l'expliquer précisément. Mais il faut noter que les chiffres s'améliorent et que nous agissons. Depuis 2008 et l'arrivée de Christian Estrosi, la Ville de Nice s'engage. Il n'y avait pas de délégation dédiée avant son élection. Tous les services qui peuvent agir sur ces sujets ont été mis en relation.
Nous avons beaucoup travaillé sur l'information, pour que les victimes sachent bien à qui s'adresser pour obtenir de l'aide. Nous avons mené plusieurs grandes campagnes de prévention, tout en développant nos cellules d'écoute, nos places d'hébergement et nos structures, comme L'Abri Côtier, le Centre d'accueil de jour de la Ville. C'était le grand projet du premier mandat il y a plus de dix ans.

Toute cette action est rendue possible par nos partenariats avec le 115 et le Centre d'Information des droits des femmes, notamment.
Des boutons d'alerte et des bornes ont été installés partout en ville, dans l'espace public comme dans les pharmacies par exemple. Ces violences concernent l'ensemble de la population. Nous menons donc des actions de sensibilisation partout, auprès des agents de notre police municipale, avec les enfants, de la crèche (avec des équipements non-genrés -- jouets, blouses jaunes et non plus roses ou bleues…) jusque dans les établissements."
Lire aussi : Confinement : contre les violences faites aux femmes et aux enfants, la Ville de Nice s’engage
N-P. Pendant les différents confinements, la Ville a mis en place des plateformes d'écoute et des places d'hébergement pour les femmes et les enfants victimes. Quel premier bilan en tirez-vous ?
M. D. : "Nous avons reçu 50 appels sur la ligne dédiée aux femmes victimes, disponible en permanence. Elles ont toutes été accompagnées, en fonction des différentes situations. Douze ont été hébergées, certaines grâce aux places dans les hôtels que nous avons pu débloquer. Pour ce qui est de la plateforme ouverte aux victimes d'inceste, il est trop tôt pour tirer un bilan. Dès que la situation sanitaire le permettra, nous organiserons d'ailleurs une table ronde sur le sujet."
Lire aussi : « Me Too inceste » : la Ville de Nice se mobilise contre les violences sexuelles
N-P. Ces dispositifs vont-ils être pérennisés ?
M. D. : "Tout à fait. Le confinement nous a permis de nous réinventer, de faire un réel état des lieux pour accueillir au mieux les différentes victimes. Nous allons donc maintenir ce niveau d'hébergement après le déconfinement."
"Nous n'avons pas du tout à rougir de ce qui est fait à Nice"
Maty Diouf
N-P. Des associations féministes, notamment le Collectif pour les droits des femmes 06, déplorent le manque de moyens en local. C'est un constat que vous partagez ?
Lire aussi : REPORTAGE, EN PHOTOS. Féminisme : à Nice, un 6 mars de luttes
M. D. : "Il manquera toujours des moyens, on peut toujours faire mieux. Je connais par coeur ces associations, nous sommes dans un dialogue permanent. J'aurais tendance à répondre qu'il faut voir le verre à moitié plein, plutôt qu'à moitié vide. Sur tous ces sujets, on travaille, on progresse. Cela doit se faire sans dogmatisme, sans couleurs politiques.
Nous n'avons pas du tout à rougir de ce qui est fait à Nice. Beaucoup de villes viennent d'ailleurs s'inspirer de nos politiques."
Parcours
N-P. "Jeune Afrique" notait il y a dix ans que l'arrivée d'une femme Noire au conseil municipal était "un évènement en soi". C'est votre sentiment, hier et aujourd'hui ?
M. D. : "Pour certains c'était un évènement, pour moi c'était un honneur. Je l'ai vu comme un symbole positif, celui d'une ville qui avance plus vite que les autres sur ces questions. C'est aussi la vision d'un homme, celle de Christian Estrosi, qui a beaucoup agi pour l'intégration bien avant qu'on en parle autant qu'aujourd'hui. Il portait une vision de long terme, qui ne laisse personne au bord du chemin."
"Je suis fondamentalement française et profondément niçoise"
Maty Diouf
N-P. Vous vouliez être la "Rama Yade d'Estrosi", paraît-il…
M. D. : (Rires) "Je ne me souvenais plus qu'on avait dit cela. On m'a décrit comme 'une femme de couleur qui…' mais cela me gênait un peu, je ne suis pas un faire-valoir. J'aimerais qu'on parle aussi de mon appartenance à la ville de Nice : j'y ai grandi, j'y ai fait mes études, mon mariage, mes enfants… Je suis fondamentalement française et profondément niçoise.
Ce qui est vrai, c'est que la période Sarkozy nous a permis d'avancer, il a mis les dossiers liés à la diversité sur les tables de la République, avec les nominations au gouvernement de Rachida Dati et Rama Yade. Depuis, on voit que ça bouge. On doit continuer à combattre les stéréotypes : par exemple, je rêve que le ministère du Droit des femmes soit occupé par un homme.
N-P. On sent chez vous une certaine fierté du chemin parcouru.
M. D. : "Et quel chemin ! Depuis quelques temps déjà, nous avons un service dédié à ces questions, et non plus une seule délégation. Il a de vrais moyens, avec son budget, et six personnes (chargés de projets,…) pour faire avancer les dossiers en transversalité avec tous les autres services.
Nous allons aussi créer sur ce mandat une Maison des femmes, qui valorisera les droits collectifs, qui parlera santé, pourra phosphorer autour de l'entrepreneuriat, des projets… Ce sera un vrai "guichet unique".
Le déconfinement nous permettra d'avancer également sur les questions de solidarité internationale. Nous allons organiser des échanges de bonnes pratiques avec le Sénégal et la Côte d'Ivoire notamment. C'est un clin d'oeil, je n'oublie pas d'où je viens, j'en suis très fière. Mes origines, ma famille m'ont permis de devenir la femme que je suis aujourd'hui. J'ai un héritage à transmettre."
— Propos recueillis par Clément Avarguès le 9 avril 2021.