PAROLE À L'OPPOSITION
Lutte contre la démolition de l'actuel Théâtre national, pollution de l'air niçois, transparence en politique,… 20 mois après leur élection, Juliette Chesnel et Jean-Christophe Picard du groupe d'opposition vert au conseil municipal dressent un premier bilan de leur parcours.
Pour eux c'est clair, la politique écolo défendue par le maire Christian Estrosi (Horizons, ex-LR) ne serait pas à la hauteur des enjeux imposés par le dérèglement climatique.
Nice-Presse : que retenir de l'action du groupe écologiste depuis juin 2020 ?
Juliette Chesnel : C'est un succès lié à notre mobilisation sur la précédente mandature (2014-2020, ndlr) mais nous sommes très satisfaits d'avoir obtenu le prolongement du réseau de tram, avec une ligne 5, vers l'Ariane et la Trinité.
Jean-Christophe Picard : Nous livrons aussi une bataille sur la transparence de la vie politique, pour avoir des réponses, des modifications des délibérations…
Nous avons obtenu, ce qui n'a pas été facile, d'être dans plusieurs commissions, comme celle des appels d'offres : c'est une réelle avancée pour le contrôle et le suivi de l'action publique. Sur un an, on est amenés à saisir une dizaine de fois le préfet.
Mais on arrive à échanger avec la majorité. Aidée par son association, notre élue Hélène Granouillac a pu faire avancer des initiatives pour les animaux avec l'élu en charge (Henry-Jean Servat, ndlr), par exemple.
Votre chef de file, Jean-Marc Governatori, on le voit très peu…
JC : Il a une vie nationale. Notre groupe est éclectique, composé de diverses couleurs de l'écologie. Nous sommes unis sur les problématiques locales. Pour ce qui est de la vie nationale, chacun est libre.
Davantage, peut-être, que les élus de la majorité, puisque les deux élus qui soutiennent Éric Ciotti ont été éjectés par Christian Estrosi.
Certaines prises de position personnelles ou des maladresses de vos élus ont-elles pu nuire à votre crédibilité ? On a parlé de M. Governatori, on pense aussi aux écarts de Sylvie Bonaldi.
JC : Je ne le pense pas, ce n'est pas lié à l'action du groupe. Cela donne du piquant aux médias, tout au plus. Ce n'est pas ce qui intéresse les Niçois.
J-C P.: Très honnêtement, dans notre équipe, nous n'avons que des gens sincères, qui ne font pas de media training (ils ne sont pas formés à la communication publique, ndlr), qui sont spontanés. Ils disent les choses de manière peut-être un peu maladroite, parce qu'ils n'ont pas de conseillers, les yeux rivés sur les sondages.
JC : Et en tant que présidente de groupe, je ne muselle personne.

Comment se faire entendre en tant qu'élus écolos dans le 06 ? Vous êtes, au total, assez peu, et vos idées sont souvent techniques, parfois impopulaires.
JC : On a le défaut de vouloir être pédagogues (elle sourit). Contrairement à l'extrême-droite, nous ne sommes pas dans des solutions simplistes, ni dans des idées résumées en 128 caractères pour Twitter.
Je suis ingénieure de métier : je veux expliquer aux gens comment les choses fonctionnent, mais aussi quelle est la nature de notre engagement. Le dérèglement climatique ne doit pas être caricaturé. Alors on essaie d'être compréhensibles par tous, enfants comme adultes.
J-C P.: Je pense que nous sommes tous écologistes. La différence se fait sur la dose d'efforts que nous sommes prêts à faire. La droite estime qu'il ne faut pas perturber les gens, et elle refile la patate chaude aux générations futures.
Nous on dit que c'est maintenant, et que c'est urgent. Demain, ça sera trop tard.
Les grands projets
Vous avez combattu pour sa sauvegarde, mais ça y est, la démolition du TNN dans ses murs actuels a commencé. C'est un échec ?
JC : Pour nous, le projet n'est pas terminé. Déjà, l'association de Martine Bayard va formuler des recours, avec de vrais arguments. De même, la ministre de la Culture a fixé des conditions pour autoriser cette démolition : la mairie ne peut pas les tenir.
Il y a bien un chantier en cours dans le bâtiment d'Yves Bayard, mais ils vont devoir s'occuper de l'amiante en premier, ça laisse du temps.
Il faut aussi dire que le Théâtre national est déjà déréglé, puisque des dates ont été bousculées.
J-C P.: On disait que la Gare du Sud allait être rasée : elle est toujours là.
Après la présidentielle, il y aura aussi un nouveau ministre. Nous verrons bien s'il accepte de raser un théâtre en bon état.
Il n'y a pas eu assez de démocratie locale d'après vous ?
JC : Le contenu des concertations n'est pas sincère. La mairie a interrogé les Niçois sur les arbres à planter pour l'extension de la Coulée verte, sans dire que la démolition du TNN et d'Acropolis va coûter plusieurs dizaines, voire centaines de millions d'euros.
Relire >> Démolition du TNN et d’Acropolis à Nice : la vérité sur le coût de l’opération
Un référendum n'aurait pas été utile. Il y en a eu un sur l'aéroport, mais le vote des Niçois n'a pas été, au final, respecté.

J-C P.: Nous pourrions organiser des débats avec un garant, qui mènerait les échanges avec impartialité. Cela existe et fonctionne au niveau national pour les grands projets.
Actuellement, on demande aux gens s'ils veulent plus de fleurs en ville ! Évidemment, ils vont être d'accord. Mais on n'aborde ni le coût, ni le calendrier, ni le projet en entier. On ne leur donne vraiment pas toutes les cartes.
Vous avez estimé à la télévision que certains projets municipaux seraient guidés par divers intérêts - on entend là "lobbies". Lesquels, à votre avis ?
JC : Christian Estrosi s'est engagé à aménager un grand palais des congrès à l'Ouest. Autour de la table, il y a tous les acteurs du monde économique, et son "G20 des hôteliers". Il est coincé par les promesses qu'il a pu faire aux grands groupes.
C'est d'ailleurs quelque chose de très problématique. Les congrès sont organisés plusieurs années en amont. Or, on ne sait pas grand chose des futurs équipements. Alors rien n'est planifié à Nice du côté des congressistes. Ils vont aller ailleurs. Et personne ne voudra prendre une chambre d'hôtel dans ce quartier, près de l'aéroport.
J-C P.: C'est un raisonnement du monde d'avant. Estrosi vit sur d'anciens schémas, ceux du vieux monde. Il raisonne encore avec le sur-tourisme et cette image du maire bâtisseur. On ne sait pas s'il faut y voir des lobbies, mais il met Nice dans une situation de grand retard.
Il y aurait un problème de compétitivité face aux autres grandes villes du Sud si nous gardions un vieux Palais des Congrès pas très attirant, non ?
JC : C'est le complexe de Nice par rapport à Barcelone et Gênes. Regardons Marseille ou Cannes. Mais on peut aussi faire un pas de côté et arrêter de se comparer. Travaillons plutôt ensemble, avec les autres territoires.
Le maire veut se tourner vers le tourisme écolo et culturel. On imagine que vous partagez cette ambition…
JC : Nous la partageons, oui. Mais ce n'est pas ce qui est mis en place. Pour la culture, déjà, on éparpille façon puzzle le TNN. On retire ses subventions au Centre national de création musicale (CNCM), qui se retrouve menacé.
Concernant la politique du tourisme, qui est le président de l'office métropolitain ? Rudy Salles, qui est carrément du siècle d'avant. Le site de l'office du tourisme propose trois webcams : deux sur les stations de ski et… une sur l'aéroport ! Ça donne envie de pleurer.
J-C P.: Nous avions proposé à l'occasion des dernières municipales l'installation d'un pôle culturel dans l'hôpital Saint-Roch, avec un musée du carnaval. Ce serait un excellent produit d'appel.
Christian Estrosi conditionne sa candidature à une baisse finale de -55% des gaz à effet de serre, avec un premier palier à -30%. Crédible ?
JC : Aujourd'hui, si vous regardez les courbes publiées par Atmosud, on est loin du compte. Ou il faudrait une baisse très radicale. La mairie communique sur la pollution dans les axes concernés par les lignes 1 et du 2 du tramway. Mais on ne parle pas du reste de la ville.
Il n'y pas une seule solution miracle pour arranger les choses, mais celles qui sont proposées ne sont pas au niveau.
On part presque sur une page blanche avec le projet de renouveau du Port Lympia. Comptez-vous participer à la concertation menée par l'ex-élu Olivier Bettati, comme il vous l'a proposé dans Nice-Presse ?
JC : Nous participons à toutes les concertations, tous les projets qui concernent les Niçois nous intéressent. Sans forcément être dans la contestation, nous apporterons des propositions.
Nous sommes toutefois très étonnés que monsieur Bettati ait été choisi. Pour retourner sa veste, il est très fort. De même, dans le comité de pilotage, on trouve deux professionnels du yachting. Cela nous pose problème.
Ce qui est sûr, c'est que nous n'avons pas besoin d'être Monaco ou Barcelone. On peut avoir un port de petits bateaux, de pêche et de navires pour aller en Corse.
Vous vous positionnez beaucoup sur le sujet de l'éthique : les dispositifs actuellement en place sont-ils suffisants pour la garantir, à la Ville comme à la Métropole ?
J-C P.: Il y a une faille énorme, c'est la Métropole. La loi ne permet pas à toutes les oppositions d'être présentes dans les commissions, comme par exemple celle des appels d'offres. C'est complètement fou, puisque toute la commande publique se fait sans le contrôle de l'opposition. Des dossiers clés ont pourtant été délégués à Nice Côte d'Azur, comme les transports ou la gestion des déchets. Il faut que cela évolue.