INTERVIEW - Olivier Bettati est de retour dans la vie publique niçoise par la grande porte. Christian Estrosi lui a confié du début de l'année à juin l'encadrement de la mission de réflexion consacrée à l'avenir du Port Lympia. Un chantier à 40 millions d'euros s'engagera ensuite sur la base de ces propositions. Avec une chaleur toute chiraquienne, la gouaille en bandoulière, le voilà parti dans un sacré marathon, avec une concertation d'un nouveau genre.
Et à la conquête de cette terre, longtemps ciottiste, aux législatives ? Très peu partisan de la langue de bois, il n'a jamais laissé cette porte là aussi ouverte…
Vendredi 4 février, il présentait à "Nice-Presse" les vastes bureaux du quai Lunel dans lesquels son équipe installe son quartier général jusqu'à l'été.
LA MISSION
Quel est l'objectif de cette concertation : recueillir plein d'idées, déminer les craintes…?
C'est très vaste. Rien, ou presque, n'a bougé depuis 100 ans. On doit faire un vrai état des lieux : ce n'est actuellement ni un port de commerce, ni de marchandises, ni de yachting… C'est un port de tout, donc un port de rien.
On connaît les limites des enquêtes publiques. Vingt mecs à peine se déplacent et jouent le jeu, et le jour où le chantier est déclenché, on a un psychodrame avec tous ceux qui ne s'étaient pourtant pas exprimés. Cet aménagement est trop vaste pour en rester là.
Cette mission prend les choses autrement, puisque c'est nous qui allons au-devant des gens. Si ce fonctionnement d'un nouveau genre fonctionne, sans doute sera-t-il utilisé pour d'autres grands projets.
Je reçois les comités de quartier, le club de yachting, les entreprises de la plaisance, les restaurateurs… Beaucoup vivent ensemble sans forcément réellement se parler. On va mettre tout le monde autour de la table.
Nous allons faire remonter les idées, avant de les trier, et d'expliquer, aussi, pourquoi certaines ne sont pas réalisables. En juin, le maire aura sur son bureau un rapport et tout un tas de propositions, avec un projet qui fédère le plus possible.
L'idée c'est aussi d'éviter un "effet TNN-Acroplis", avec un projet qui engendre pétitions et manifs tous azimuts ?
Il y a eu une récupération, mais moi je pense qu'à la fin tout le monde sera content. Pour le Port, je vais proposer à tous les groupes politiques de travailler avec moi. Je suis hétéroclite, si on me le reproche, je m'en fous complètement. Bettati il a des copains partout, ce n'est pas si con, ça peut aider. J'assume tout.
Lire aussi >> Nice, destruction du TNN : entre la mairie et ses opposants, les nerfs à vif
Quels sont vos atouts pour mener cette mission ?
Je suis un marin, quelqu'un qui a été élu pendant 30 ans et un chef d'entreprise. Je connais l'économie locale. Dans cette histoire, je suis bénévole. Je viens servir ma ville, parce que le dossier me passionne et que j'y crois énormément.
LES GRANDS AXES
Faut-il "sortir les bagnoles" du quartier, comme on l'a entendu ?
Sa réussite économique ne se fera pas sans la voiture. Les gens doivent pouvoir venir, et les riverains se garer. Sinon, rien ne marche. Donc non, on ne va pas faire sortir "les bagnoles": on va les réorganiser.
On manque déjà de stationnement, il faut créer des places ailleurs. En supprimer à certains endroits, notamment pour créer une promenade arborée. Tout le "U" du Port est une sorte de "plus beau parking de France". C'est ridicule.
L'opposition estime qu'avec ce projet on va faire du Port un ghetto pour riches…
Il faut être de mauvaise foi, ou ne rien comprendre à ce qu'est le yachting. Un bateau, ça coûte 20% du prix du neuf pour l'entretien chaque année. Il y a une vraie activité autour de ça, avec des métiers, des artisans qui ne sont pas milliardaires. Et sur ces "bateaux pour riches", il y a, à l'année, du personnel.
Avec notre place dans la façade méditerranéenne, peut-on se priver d'attirer des visiteurs à très forts revenus ? Je vais expliquer au RN et aux écolos pourquoi ils se trompent. Est-ce qu'il vaut mieux dix yachts ou un gros cimentier ? On ne peut pas être satisfaits de voir une centaine de camions venir décharger du ciment ici quand on a une sensibilité écolo.
Peut-être devrions-nous regarder du côté de l'Espagne, piocher des idées à Barcelone. Là-bas, on a su allier le yachting haut-de-gamme, de la pêche locale. C'est pas mal.
Culturellement, aussi, on peut faire plus. Notamment dans le cadre de la course pour être capitale européenne 2028.
L'éco-taxe imposée ou non sur les trajets Nice-Corse en ferries, ce n'est pas très clair pour tout le monde. Va-t-elle vraiment être imposée, que changerait-elle ?
À ce sujet >> La « taxe carbone » sur les liaisons Nice-Corse a‑t-elle fait naufrage ?
Le maire a mis sur la table une solution "extrême" parce qu'il a réclamé, sans succès, des efforts à la compagnie Corsica Ferries depuis un moment déjà. Ça fonctionne, il fallait taper au portefeuille : elle a bougé et a proposé des solutions d'organisation.
Mais nous devons avoir cette réflexion : combien de bateaux, de quelle taille et de quel type ? On ne restera pas figés dans la situation actuelle qui est "on vient, on pollue, on embarque des clients et on s'en va".
Quid des pêcheurs, abandonnés depuis des années ?
Des échanges sont prévus, leur métier est capital, l'offre est de grande qualité. Il y a des détails techniques qui gâchent la vie, des équipements simples qui manquent beaucoup… La Chambre de Commerce s'est installée dans un conformisme.
Lire aussi >> « Ça va nous faire du bien » : à Nice, un plan de soutien pour les pêcheurs
L'avenir du Port peut-il vraiment s'imaginer avec elle ?
Réponse qui n'engage strictement que moi : non ! Cette Chambre agit comme un syndic, pas comme un aménageur. Ce n'est pas à moi de prendre une décision. Mais eu égard à ce qui a été fait, ou pas fait, je ne vois pas pourquoi on continuerait avec elle. C'est mon sentiment.
Lire aussi >> Port de Nice : la Métropole a‑t-elle perdu des millions d’euros au profit de la CCI ?
Au niveau des commerces, comment attirer de nouvelles enseignes ? Et de quel type ?
L'enjeu n'est pas d'ouvrir un commerce, c'est d'y faire venir des clients. Pour créer "l'envie d'avoir envie", il nous faut les conditions d'un vrai développement pour des boutiques de luxe, des caves à vin, des bars branchés, de nouveaux restaurateurs…
Eh oui, on le sait, les visiteurs ne viennent pas jusqu'au Port. Comment inverser la tendance ?
Dans toutes les villes méditerranéennes, la vie se fait autour du Port : Monaco, Cannes… Nice, ce n'est pas le cas. Les visiteurs s'arrêtent à Garibaldi ou au Cours Saleya, mais ils ne viennent pas.
C'est un endroit qui est très, très beau, mais il n'est pas sympa, il manque de vie. On pourrait lancer une campagne de com', mais pour ça, il faudrait avoir quelque chose à vendre. L'offre n'est pas là pour l'instant.
Il faut le rendre attractif sans excès, pour ne pas en faire non plus un nid à bobos ou un coin à touristes. Notre mission, c'est trouver l'équilibre et l'harmonie.
Ne serait-ce que pour se balader, ce n'est franchement pas génial…
Vous avez de grands trottoirs qui ne servent à rien l'été parce qu'ils sont en plein cagnard, pas de verdure, rien pour se poser. C'est une histoire extraordinaire : on ne peut pas manger un poisson au bord de l'eau, on est chez les fous. Ça va changer.
POLITIQUE
On dit que cette concertation est idéale pour entamer votre campagne et devenir député, en juin, de la 1ère circonscription, qui comprend le Port…
En 2.500 ans, nous sommes passés de l'agora de Platon aux tweets de Francis Lalanne. Il faut se poser les bonnes questions. Notre territoire a-t-il besoin d'une guerre politique, ou d'un député qui va chercher des financements où il peut, qui défend son territoire ?
Disons clairement les choses, à quoi sert Éric Ciotti ? Je le connais depuis 25 ans. Aujourd'hui, c'est un type aigri, qui est carrément devenu haineux. Il est décevant.
Christian Estrosi a fait sa carrière. Malgré cela, il s'est quand même érigé en procureur de sa gestion juste avant les dernières municipales. Puis il en a fait autant pour celle de la Région par le tandem Estrosi / Renaud Muselier. Dans les deux cas, il n'a même pas eu le courage de se présenter.
Il n'a plus de recul sur rien : il fait des sketchs, en disant tout et n'importe quoi. Peut-être parce qu'il n'aime que lui. Sur la démolition du TNN dans ses murs actuels, il n'y a aucun argument à part taper sur le maire. Pareil avec Macron, d'ailleurs. Sa méthode - le "toujours contre" - pas constructive, dessert cette ville.
Avec le temps, des gens mûrissent, d'autres pourrissent. Les Niçois jugeront.
Ce retour de flamme entre Christian Estrosi et vous, d'aucuns estiment qu'elle ressemble au mariage de la carpe et du lapin. Que répondez-vous ?
On dit beaucoup de choses. Moi je n'ai pas été acheté, je ne suis pas Gaston Franco (rires). Christian et moi, on a travaillé ensemble pendant 25 ans, on s'est affrontés. Et j'ai eu tort. Ce qu'il a fait pour ma ville est incontestable. On a fait la paix après la guerre, avec une conversation d'homme à homme. C'est ça le courage en politique.
C'est quelqu'un qui est dans le dépassement des clivages. Il a pris avec lui mon ami Marc Concas pour son conseil municipal, Patrick Mottard qui fait un travail formidable… (des personnalités de gauche, ndlr) Il rassemble au-delà de son camp des talents variés. C'est le sens que doit avoir l'action publique aujourd'hui.
On vous dit proche désormais de la vision d'Emmanuel Macron, du parti Horizons porté par Edouard Philippe, c'est vrai ?
Oui, je vois ce dépassement, que je souhaite, dans leur démarche. Quand je pense à ma liste aux municipales niçoises en 2014, je le faisais déjà. Ils ont réussi avec mille fois plus de talent aujourd'hui. Estrosi également dans cette ville.
Je ne me cache de rien, je ne regrette rien. Oui j'ai fait campagne avec Marion Maréchal et le Front national. La droite ne parlait pas d'immigration et de sécurité. C'était à l'époque où Valérie Pécresse flinguait des postes dans la police et qu'Éric Ciotti validait tout ça.
J'adore le débat, la démocratie en a besoin. Il faut parler à tout le monde, avec l'intelligence du cœur.