- En pleine campagne pour les régionales, le cliché d'une rencontre entre le candidat du RN et le grand Mufti de Syrie refait surface, publié par le président Renaud Muselier (LR).
- Problème, le dignitaire en question a menacé Israël et les pays européens d'attentats-suicides en 2011. Il fait également partie des cadres du régime syrien accusés d'avoir organisé des crimes contre l'humanité en masse dans "l'abattoir humain" de Saidnaya.
- Troublant, pour le candidat de la "sécurité retrouvée" en PACA.
Les hostilités sont déjà lancées, un peu plus de vingt-quatre heures après l'entrée en campagne de Renaud Muselier.
Ce jeudi 29 avril, le président du conseil régional de Provence-Alpes-Côte-d'Azur dégaine : "J’entends avec colère Thierry Mariani dire sur LCI qu’il est ami avec Assad en Syrie pour 'défendre les Chrétiens d’Orient'. Le voilà en 2019 avec le grand Mufti de Syrie, connu pour avoir menacé d’'activer des kamikazes en Europe'. Lamentable dérive".
Pour accompagner son post, le patron de la Région y joint une photo récupérée sur le compte Twitter de son adversaire, en 2019.

Renaud Muselier ne sort pas un scoop. Buzzfeed News en faisait déjà un sujet, il y a cinq ans : "En 2011, Ahmad Badreddin Hassoun menaçait l'Occident d'attentats-suicides. En 2016, il posait avec cinq députés, dont Thierry Mariani" lisait-on chez nos confrères.
"Décapant", ce grand Mufti

L'actuel candidat RN aux régionales en PACA a, en réalité, rencontré plusieurs fois ce dignitaire syrien, "plus haute autorité musulmane sunnite du pays". Des tweets en font état au moins en 2015, 2016 et 2019, au cours de déplacements effectués en Syrie.
À quoi fait référence Renaud Muselier lorsqu'il pointe du doigt ce "grand Mufti de Syrie, connu pour avoir menacé d’'activer des kamikazes en Europe'"?
À une vidéo publiée en 2011 sur YouTube, dans laquelle on le voit proférer des menaces, notamment contre Israël, les États-Unis et les pays européens, qu'il suspecte de vouloir attaquer le régime de Bachar el-Assad.
Le prêche est traduit par "trois sources différentes" à BuzzFeed. L'homme a ainsi déclaré en public :
« À la seconde où le premier de vos missiles touchera la Syrie, tous les fils et les filles du Liban et de la Syrie se prépareront à mourir en martyrs sur le sol palestinien ou en Europe. Je dis à l’Europe et à l’Amérique que nous allons activer des martyrs qui sont déjà parmi vous. Si vous bombardez la Syrie ou le Liban, ce sera œil pour œil, dent pour dent »
Ahmad Badreddin Hassoun, grand mufti de Syrie, en 2011
Comme le note BuzzFeed, "La menace est claire : en cas d'intervention, Hassoun promet une vague d'attentats-suicides sur les sols européen et américain". L'intéressé se dit aujourd'hui opposé au fondamentalisme religieux et assure que "la religion est venue dans l’univers pour répandre l’amour entre les êtres humains".
Thierry Mariani avait déjà répondu, un brin évasif, à cet épisode, en 2016 : « Je me souviens qu'on a vu la vidéo avant de le rencontrer. Et quand nous l'avons rencontré, on lui a posé la question. Il nous a répondu que ce n'était pas du tout d'actualité".
"Il a affirmé que ses propos avaient été détournés. Je ne suis pas persuadé que son explication était vraie, il avait l'air autant mufti que politique, mais bon"
Thierry Mariani
Des doutes qui ne l'ont pas empêché de poser en sa compagnie sur les réseaux sociaux, donc, ni de le rencontrer à différentes reprises.
"La délégation RN rencontre quelqu'un qui lui-même faisait l'apologie du terrorisme. C'est quelque chose de paradoxal pour quelqu'un qui se dit, de manière totalement fausse, l'ennemi de mouvements terroristes" note à propos de ces rencontres Nicolas Tenzer, professeur à Science Po, spécialiste de la Syrie, chez Loopsider.
"Abattoir humain"
Ces propos polémiques ne sont pas les seules choses qui sont reprochées au grand Mufti Hassoun. Ce dernier fait parti des cadres du régime syrien habilités à ordonner des exécutions "extra-judiciaires" à la prison de Saidnaya, à trente kilomètres au nord de Damas.
Elle "n'est pas seulement l'une des plus atroces de Syrie, là où tortures et mauvais traitements sont systématiques et institutionnalisés. C'est aussi un lieu de massacre organisé, « un abattoir », selon un rapport d'Amnesty International" note une enquête de Libération en 2017.
"Entre 5.000 et 13.000 prisonniers y ont été pendus entre septembre 2011 et décembre 2015. (…) Les victimes sont dans la quasi-totalité des cas des civils opposés au régime".
"Les condamnations à mort sont approuvées par le grand mufti de Syrie et soit par le ministre de la Défense, soit par le chef d'état-major, qui agissent de la part du Président, Bachar al-Assad. Dans un rapport publié en février 2016, les Nations unies avaient déjà accusé le gouvernement syrien d''exterminer' des détenus, ce qui constitue un crime contre l'humanité"
Libération, à propos de la prison de Saidnaya
Ce que pense le candidat Mariani du camp de Saidnaya, on ne le sait pas. Ce que l'on sait, c'est qu'il est passé par cette ville, à l'été 2019, pour y déguster, comme il l'avait posté sur Twitter, du Côte-du-Rhône avec d'autres élus RN.
À #Sednaya, bonne surprise dans le restaurant qui nous propose un #CotesDuRhone !!
— Thierry MARIANI (@ThierryMARIANI) August 30, 2019
Malgré l’embargo et les sanctions qui frappent la #Syrie, bravo à nos viticulteurs qui ont réussi à distribuer leur vin jusqu’ici 👏👏👏 pic.twitter.com/AIZLhpUC65
"Feindre l'ignorance est une défense aberrante" explique Nicolas Quénel, journaliste indépendant spécialiste des questions de terrorisme, joint par Nice-Presse. "Thierry Mariani est forcément au courant de tout cela, au vu du rapport César, de celui des ONG, de l'ONU, de toute la documentation…"
Avant de développer : "Au moins, il est cohérent. Cela s'inscrit dans son positionnement politique qui est de défendre Bachar El-Assad, qui serait un protecteur des Chrétiens d'Orient et un rempart contre le terrorisme".
Mais en réalité, note le reporter, "C'est un régime criminel qui ne fait absolument rien contre le terrorisme. Au contraire, El-Assad a ouvert les portes de certaines prisons pour relâcher dans la nature les djihadistes et plusieurs hauts cadres de l'État islamique"
Nicolas Quénel, spécialiste des questions de terrorisme
"La position de Thierry Mariani sur ces sujets est hautement contradictoire, il est dans un vrai numéro d'équilibriste" poursuit Nicolas Quénel, entre la promesse d'un tour de vis sécuritaire dans la Région, et ce type de fréquentations.
La réponse du camp Mariani
Joint par Nice-Presse ce jeudi 29 avril, l'équipe de campagne du candidat Rassemblement national nous a transmis cette réponse écrite :
"Le même mufti a été invité au Parlement européen, où il a prononcé un discours sur « le dialogue entre les cultures comme chemin du bonheur » devant l’ensemble des députés (en 2008, avant ses propos sur les attentats-suicides en Europe, NDLR). Quand on est dans le dialogue international, on rencontre des interlocuteurs. Nicolas Sarkozy lui-même a reçu à plusieurs reprises Bachar el-Assad lorsqu’il était Président. Renaud Muselier va l’attaquer ?
L’engagement de Thierry Mariani pour la protection des Chrétiens d’Orient est indiscutable, et ne se résume pas à quelques tweets à l’approche des élections. En octobre 2019, Renaud Muselier recevait l’ambassadeur du Qatar à l’Hotel de Région en promettant de renforcer les liens avec ce pays connu pour financer l’islamisme dans le monde entier. A la même période, Thierry Mariani, lui, était avec les habitants de Maaloula, ville chrétienne martyre de Syrie où les islamistes ont commis les pires atrocités. Ce sont deux approches en effet très différentes de la question…"